SUNFLOWER

[34] Colères Bridées.

☁️ MARDI 19 H 10 / JOUR 131

Nous avons marché pendant quelques minutes, une bonne quinzaine. Sa nervosité ne semblait pas pouvoir partir. Sa main serrait la mienne si férocement que je ne sentais presque plus mes doigts. Lorsque nous nous sommes arrêtés devant le portail d'une maison, il m'a lâché la main. Il s'est tourné vers moi et il a posé son front contre le mien. Nous sommes restés dans le silence et le noir de la nuit qui tombait pendant de longues minutes avant qu'il ne prenne la parole. Finalement, ses mains se sont posées sur moi. Une dans le creux de mon cou, ses doigts frôlaient ma nuque et chatouillaient mes cheveux. L'autre désespérément à la recherche de mes doigts qui pouvaient lui donner un certain réconfort, assez pour que ses tremblements cessent. Pendant quelques instants, il a cherché ses mots et finalement, il s'est lancé. D'une voix faible, parfois difficilement audible, il m'a enfin donné la raison de notre présence ce soir, en ce lieu alors même qu'il ne voulait pas qu'on vienne tous les deux.

Il y a trois ans, lorsque sa mère est morte, il ne lui restait plus rien. La famille de cette dernière, se foutant du sort de Sunflower, a décidé de vendre la maison dans laquelle ils habitaient tous les deux. Il n'avait plus que quelques-unes de ses affaires, la moto de son père et les clés de la salle de boxe dans laquelle son frère s'entraînait chaque jour pour être le meilleur. Le Bestial Club. Pendant de longs mois, il est resté seul. Vivant sur l'argent hérité. Sa mère avait pensé à tout lorsqu'elle s'est suicidée. A tout sauf à lui. L'argent n'était pas le problème. Le problème était qu'il était seul, mineur, endeuillé et complètement détruit et abandonné. Il était une épave qui cachait au monde entier sa solitude. Comme Cadavre. Pendant près de sept mois, les choses ont été difficiles pour lui. Et c'est là que Madame B intervient. Elle a réalisé que quelque chose était étrange. Que ce soit pour l'administratif qui demandait à ce que les parents signent deux ou trois choses ou même pour les réunions parents/profs. Sunflower semblait entouré de fantômes, elle a finalement compris qu'il mentait à propos de ses parents lorsqu'elle s'est renseignée un minimum. Elle l'a presque forcé à accepter son aide. Difficilement, il l'a laissé entrer dans sa vie. Il l'a laissé s'occuper de lui. Elle est devenue sa tutrice et Monsieur B, son tuteur. Légalement.

Aux yeux de la loi, Sunflower est sous la responsabilité du Couple B. A ses yeux, cela ne veut rien dire. Il ne vit pas chez eux. Il n'apprécie pas monsieur B. Il déteste les deux personnes qui devraient être sa nouvelle fratrie. Il a perdu sa famille, il n'en veut pas une autre pour la remplacer. Alors en dépit de ce que lui a demandé Madame B à propos de faire des efforts pour se sentir intégré dans la famille, il s'est isolé et les a laissé le détester pour ce qu'il est. Je crois qu'il avait besoin de se sentir haï par eux. Il ne voulait pas accepter leur aide. Il ne voulait pas accepter une nouvelle famille et pour qu'ils ne le soient pas, il s'est fait haïr. J'avais déjà fait le rapprochement entre Madame B et Sunflower. Je savais que quelque chose se tramait entre eux et je me doutais bien que cela était de cet ordre-là. Ce que je ne savais pas et que je n'aurais jamais pu deviner c'est que derrière cela, il n'y avait pas qu'elle mais bel et bien un monsieur B et même deux enfants.

Il a été clair : moins il les voit, mieux il se porte. Ils acceptent leurs conditions parce qu'ils l'ont beaucoup aidé mais il ne veut pas avoir plus en commun avec eux. Il a essayé, il l'a regretté et il ne m'en a pas dit plus à propos de cela. Ce soir, nous sommes là parce qu'il a parlé à Madame B. Il lui a dit qu'il avait quelqu'un. Il lui a dit qu'il était bien. Elle voulait me rencontrer. Elle voulait un dîner qui se voulait convivial pour m'intégrer, moi, le petit-ami de Sunflower. J'ai eu un mauvais pressentiment dès le départ. D'autant qu'il a repoussé encore et encore l'échéance jusqu'à ce que cela ne soit plus possible. Alors sans m'expliquer pourquoi il est haï ou il les évite, il m'a demandé une dernière fois de foutre mon sarcasme de côté. Il m'a vivement suggéré de ne pas ouvrir ma grande gueule et de faire ce qu'il me demande de faire. De nouveau, il m'a recommandé de l'écouter et de ne surtout pas laisser mon impulsivité prendre le contrôle.