Février 1970
Sur un bout de rocher planté dans l'Océan Atlantique entre l'île d'Ouessant et l'île Molène, quatre personnes venaient d'arriver. Pas décoller ou atterrir, juste arriver, aucun bateau n'était amarré au ponton vermoulu à l'est de l'îlot, aucun avion n'avait survolé ces rochers du Finistère. Ils venaient juste d'arriver.
Le vent marin mettait à l'épreuve l'imperméabilité de leurs cirés, jaune pour le plus âgé, un homme au visage glabre et sinistre, petit et trapu, ses yeux bruns clairs à peine visibles sous ses sourcils gris et broussailleux. Une femme et un homme d'une trentaine d'années le suivaient. Elle, rentrait systématiquement sous son foulard mauve sa longue chevelure brune que le vent voulait ébouriffer. Lui, avançait en pas de canard, gêné par ses bottes en caoutchouc rouge vif, achetées pour le voyage. Le premier était le père. La deuxième, sa fille aînée. Le troisième, son fils aîné. Quant au quatrième homme, il s'assit sur un rocher à l'écart de la famille. C'est par lui que le voyage avait été fait, il recevrait sa paie quand il ramènerait les trois autres en un seul morceau chez eux dans une petite bourgade du Vercors.
Le père se posta devant la porte en bois vermoulue de la seule petite masure en pierres sèches de l'île. La femme se débattait encore avec son foulard :
« Pourquoi doit-on voir ce Chrononaute en particulier ? Ce n'est pas la première fois, ni la dernière fois qu'ils enfreignent la règle en faisant des voyages dans le temps. »
Elle avait dû partir à la hâte, une fois ses deux filles couchées sous la surveillance de leur grand-mère. On ne lui avait rien dit, et le climat pluvieux et celtique lui rappelait trop cruellement la disparition de son époux qui venait des collines vertes de l'Irlande.
« Excellente remarque, papa. C'est sympa de me faire quitter la table lors du dîner, mais j'aurais bien aimé que tu nous expliques pourquoi nous sommes ici dans ce trou à nous geler au milieu de nulle part. » ajouta l'homme.
Une bourrasque humide détrempa complètement ses habits de ville. L'homme au ciré jaune tiqua quand son fils lâcha un juron de rage, mais répondit d'un ton monocorde :
« Il n'a pas voyagé dans le passé. Il est allé dans le futur. D'après le Télépathe, un germanophone dont j'ai oublié le nom...Von Bellers ? Je ne sais plus, il n'y aurait rien modifié, mais ce qu'il y a vu nous concerne.
– Nous ?
– Il n'a vu aucun de nous. Nous devions être morts. Mais il a vu ce que faisaient vos enfants.
L'homme grimaça. Si leur père les convoquait au beau milieu de l'Atlantique, pour leur parler de l'avenir de leurs enfants, ce ne devait pas pour leur dire qu'ils vivaient heureux, et avec beaucoup d'enfants. Son fils aîné était appelé à lui succéder, après la mort de son père, à la tête de l'Ordre. Son destin influencerait d'autres destins. Quant à sa nièce, la fille aînée de sa grande soeur, une gamine squelettique aussi rousse et pâle que l'était son père, il avait du mal à voir comment elle pourrait avoir une place importante dans le futur. Sans oser le dire à haute voix, toute la famille s'attendait à ce que la petite décède comme ses frères et sœurs les plus âgés, à un très jeune âge.
Son père poussa la porte. La trentenaire plaqua aussitôt son foulard détrempé par la pluie contre ses narines, agressées par la forte odeur de sueur, de cendres humides et de poisson qui régnait dans la petite pièce. Accroupi devant un poêle fumeux, un homme aux cheveux sales et filasses, blancs à l'origine, jaunis par la crasse, remuait les tisons à l'aide d'une longue tige en fer. Il se redressa péniblement à l'arrivée de ses visiteurs, et offrit le seul tabouret de la demeure à la femme.
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De mes cendres je renais -- Tome I
ParanormalJusqu'à quel point connaissez-vous vraiment votre famille ? Un uniforme laid, une cantine qui sert des plats inommables, des camarades de classe un peu bizarres, un nom à rallonge... A part les paysages à couper le souffle, Alexandra devait bien adm...