Un matin

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Le matin appartient à ceux qui se lèvent tôt, disait quelqu'un qui arrivait à prendre possession de son matin. Il était cinq heures et demie, je venais de me réveiller, et ce matin ne m'appartenait absolument pas.

Je sortis de mon lit, sans trop de regrets puisque j'y avais mal dormi. Trop étroit, trop dur, trop froid, je ne savais pas lequel de ces défauts avaient le plus contribué à me faire retourner des dizaines de fois sur mon matelas, à moins que ce ne soit tout simplement le fait de rentrer en sixième.

D'aucuns admettent que la rentrée en sixième est un cap. Certes. Mais d'autres encore avouent qu'il est plus déterminant de rentrer à onze ans dans un pensionnat, d'autant plus que ce pensionnat est perdu dans les Alpes savoyardes, et enfin, toute personne sensée reconnaît qu'y débarquer à un si jeune âge suite à un déménagement dans un milieu inconnu sans avoir eu son mot à dire, est tout simplement horrible.

J'exagère. Cela faisait depuis l'année dernière que je savais que je n'allais pas suivre mes...amies, appelons-les comme cela, Iris et Flore au collège Saint-Vaast d'Arras, et je m'étais aperçue que rentrer dans un pensionnat me faisait un point commun de plus avec les Dorsel-Gauthier du Club des Cinq. A l'époque, je rêvais de recréer le Club des Cinq avec mes cousins, jusqu'au jour où l'un d'eux m'a fait remarquer que dans ce cas, je pourrais être l'équivalent d'Annie. Annie était à mes yeux une godiche froussarde et d'une naïveté exaspérante.

On aurait pu s'imaginer qu'après dix ans au moins passés dans la même ville, je me serais quand même un peu rebellée contre la décision parentale de décoller vers l'inconnu.

Pas du tout. J'avais fait ma bonne pâte, comme disait Bonne-Maman Mathilde. J'avais tout laissé passer. L'éloignement avec la maison, l'uniforme moche, la devise ringarde qui donnait froid dans le dos, le fait que la cousine Constance s'y déclare "épanouie", l'obligation pour moi de continuer le violoncelle. Tout.

Je sortis de ma valise l'uniforme en question. Je revêtis la chemise en coton blanc, qui me grattait dans la nuque, la jupe rouge foncé, ou "amarante", comme maman voulait que je l'appelle, les chaussettes si hautes qu'elles dépassaient l'articulation de mon genou, la veste elle aussi amarante, et les deux meilleurs pour la fin : une cravate rayée rouge et gris, que je réussissais toujours pas à nouer correctement, malgré les tentatives répétées de ma mère de m'inculquer les bases du double Windsor, et celles de Pierre de m'apprendre comment faire un noeud Victoria. Il y avait surtout une sorte de béret noir aux bords larges que Pierre appelait une "tarte". J'avais eu beau chercher sur toutes les photos de la brochure bourrée de fautes d'orthographes que m'avait donnée maman, tous les élèves souriant pour la pose avaient l'air au pire de parfaits abrutis, au mieux d'incarnations vivantes de grands champignons.

Maman toqua, Jacques à moitié endormi dans les bras. Elle chuchota, pour ne pas réveiller les autres clients de l'hôtel encore assoupis à une heure aussi matinale :

« Alexandra, tu es prête ?

- Euh, presque. »

Elle avait déjà revêtu son tailleur préféré, de couleur prune, coiffé ses longs cheveux bruns en un chignon strict et habillé Jacques d'un barboteuse bleue que je portais quand j'avais son âge. Ma rentrée en sixième était un évènement qu'elle attendait avec la plus grand hâte, à en juger par le zèle avec lequel elle s'était appliquée à nettoyer les carreaux de ses lunettes hier soir

« Coiffe-toi, je t'attends en bas pour le petit-déjeuner. »

Je démêlai mes boucles rousses et les nattai en deux longues tresses. J'avais hésité à me couper les cheveux cet été, et opter pour un carré très court, mais je m'étais rendue compte que des cheveux très courts étaient aussi visibles que la couleur criarde de mes cheveux. Un coup à se faire encore plus remarquer. J'enfilai des mocassins en cuir noir, et descendis là où nous avions dîné la veille, dans le réfectoire de l'hôtel.

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant