Du savoir-vivre en internat

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« Je te l'avais dit, Brunehaut, qu'il fallait se dépêcher pour manger. Regarde ! Parce que tu as voulu profiter du ciel bleu, des cimes des montagnes, et ainsi de suite, on ne mangera pas avant treize heures, je te le dis ! Si on est en retard en cours, c'est de ta faute ! Récrimina une des trois filles à la peau brune que Solange avait invitées à manger avec elle.

- Relax, Nanthilde, on va finir par manger...Regarde les gens qui sont dix mètres derrière nous ! Et puis si on est en retard, on n'aura qu'à dire qu'on était nouvelles, et qu'on ne savait pas....rétorqua sa sœur en levant les yeux au ciel. »

La troisième voulut ajouter quelque chose, mais sembla préférer la contemplation du bout de ses chaussures à lacets, plutôt que de s'imposer face à ses deux soeurs :

« Elles ont des noms bizarres, me souffla Emilie...Nanthilde, Brunehaut...et je ne sais plus qui. Tu penses que c'est issu du martyrologue byzantin ?

- Pas du tout, la blonde, répondit Brunehaut. Notre père est historien spécialiste du Haut Moyen-Age, et il a trouvé que nommer ses filles du nom de reines mérovingiennes serait du meilleur effet. Et la troisième c'est Galswinthe. Du nom de l'épouse de Chilpéric 1er de Neustrie, étranglée dans son sommeil sur les ordres de la maîtresse de son mari. »

Emilie sursauta, pensant ne pas avoir été entendue, et acquiesça d'un signe de tête, embarrassée. Solange, devant le silence gênant qui s'installait, prit la parole :

« En tout cas, Alexandra, Phil est très content que tu sois à côté de lui !

- Génial, répondis-je en faisant tout pour montrer que je le pensais vraiment.

- Philippe, ton cousin le grand blond ? demanda Brunehaut. Il est trop beau ! »

Emilie leva les yeux au ciel sans se cacher des triplettes et voulut savoir si je faisais du scoutisme :

« J'étais aux louvettes quand j'habitais encore à Arras, et mes parents désirent m'inscrire dans une clairière lyonnaise. La sixième Lyon, je crois.

- C'est merveilleux, j'y suis aussi ! Je serai sizenière des Gris cette année. Mais comme la seconde des Bruns, candidate au poste de sizenière a dû déménager l'été dernier, tu vas sans doute prendre sa place...

- Euh, je ne connaîtrais personne, ça m'étonnerait que les cheftaines nomment une inconnue comme sizenière. »

L'année dernière, nous étions cinq filles nées en 1965 avec le même niveau de progression, donc cinq candidates pour quatre places de sizenière, sauf que j'étais arrivée un an plus tard à la clairière guides d'Europe d'Arras. Je m'étais naturellement mise en retrait, ce qui m'arrangeait plutôt bien. M'occuper de cinq gamines molles et arachnophobes, gérer le rangement d'une tente, faire un goûter supplémentaire à chaque sortie au cas où une des louvettes oublie de faire le gâteau demandé il y a trois semaines...Tout cela ne me faisait pas envie, le prestige d'une sizeinière ne compensait pas la péniblité et l'ingratitude de la tâche.

Mais que je sois propulsée à ce rang dès mon arrivée dans une clairière inconnue avec des filles qui me seraient inconnues m'effrayait encore plus. Tout m'intimidait, de la cheftaine charismatique à la pauvre Patte-Tendre un peu trop extravertie.

« Alex, on avance ! » me cria Solange.

Nous nous retournâmes dans le sens de la file. En effet, celle-ci avait bien plus avancé que Nanthilde ne le prédisait, et je pus prendre un plateau, des couverts et un verre en plastique transparent épais avant de faire glisser le plateau sur les rails qui défilaient devant plusieurs bacs de nourriture.

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant