« Alex ? Tu veux une madeleine ? lança Berthilde depuis sa table.
– Volontiers ! » m'écriai-je en me dirigeant vers la boîte en fer blanc plein de gâteaux qu'elle agitait.
Je me servis, et croquai dans la madeleine. J'avais déjà dans la main une part de gâteau au chocolat d'Ombeline, une galette bretonne de Pont-Aven de la part de Solange et une pomme venue du jardin des Pellent à Cherbourg. Tous les lundis matins, les élèves rapportaient dans leurs valises des gâteaux et frandises à grignoter fait maison pour améliorer la nourriture habituellement servie au réfectoire. Ces réserves finissaient la plupart du temps écoulées à la fin de la journée, puisqu'il était de coutume de partager ses réserves avec les camarades croisés en classe. J'avais moi-même rapporté un saucisson rosette entier qui avait fait le bonheur de Solange, Emilie et Nanthilde. J'avais essayé d'en proposer un à Elise, mais celle-ci avait refusé en prétextant s'être brossée les dents juste avant. Je dis prétexter parce que je savais bien qu'elle mentait.
Beaucoup de personnes me cachaient la vérité en pensant que je ne voyais pas clair dans leur jeu. Pas besoin de mener une enquête appronfondie, certains signes trahissaient aussitôt la personne qui travestissait la vérité. Pour Elise, je n'avais pas pu repérer ce tic, mais je savais d'instinct que son refus n'était pas dû à cette histoire de lavage de dents. Maman, par exemple, respirait très fort quand elle mentait. Ou quand elle était nerveuse, tout simplement. Ce qui arrivait quand le sujet de mon père tombait sur la table. Constance, elle, me faisait des grands sourire extrêmement niais. Constance était la championne du monde du sourire niais.
Une fois, alors que nous passions nos vacances aux Trois-Buttes, je me souvenais parfaitement l'avoir aperçue au rez-de-chaussée dans le salon, assise près de la grande glace, et puis l'avoir vue dans la salle de bains des combles dans lesquels j'avais ma chambre, en train de chercher à accrocher une de ses aquarelles au mur, tout ça dans les minutes que j'avais prises pour rallier ma chambre depuis le salon. Il n'y avait qu'une façon de monter dans les combles, passer par un escalier assez raide en bois. J'avais pris les escaliers quand Constance était encore dans le salon, et je ne l'avais ni entendue ni vue monter ces escaliers. Et elle n'aurait pas eu le temps de passer par le toit. Les jumeaux et Solange avaient déjà essayé une fois de le faire, et ils avaient failli s'écraser sur le sol. Je n'étais pas montée avec eux, j'avais le vertige. Quand j'avais demandé à ma cousine la plus âgée comment elle avait fait pour arriver avant moi sous les toits du château, elle avait bredouillé quelques mots. Je ne me souvenais plus du contenu de l'excuse qu'elle avait trouvé, mais je me rappelais très bien cet immense sourire, la preuve de son mensonge. Elle servait le même à ses frères et sœur quand elle leur annonçait que leurs parents allaient bientôt les voir.
Pour en revenir à Elise, je ne savais pas pourquoi elle m'avait menti. Peut-être qu'elle avait trop honte de ne pas aimer le saucisson ? A chaque fois que je lui parlais, j'avais l'impression de l'avoir offensée, et quand je tentais de réparer ma faute, même si je ne savais pas quelle pouvait être cette faute, j'avais l'impression d'empirer encore plus mon offense.
« Alex ! m'interpella Solange. Saurais-tu ce que nous avons à faire comme devoirs en maths ! Je suis perdue, je crois que j'ai complètement oublié comment faire des multiplications à deux chiffres ! C'est horrible, et monsieur Pichard va encore me mettre la honte devant tout le monde ! Je n'en peux plus de ce prof, toujours à te fixer avec ses yeux petits et...méchants, incroyablement méchants ! Je suis sûre qu'il a une vie complètement pourrie, ce monsieur, que sa femme l'a quitté parce qu'il est infect et que ses enfants l'ont renié pour la même raison. Si jamais par miracle il avait réussi à avoir une femme et des enfants...Mais, bref, quels sont les exercices à faire ? »
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De mes cendres je renais -- Tome I
ParanormalJusqu'à quel point connaissez-vous vraiment votre famille ? Un uniforme laid, une cantine qui sert des plats inommables, des camarades de classe un peu bizarres, un nom à rallonge... A part les paysages à couper le souffle, Alexandra devait bien adm...