Des ampoules pas si éclairantes

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« Tu n'as jamais fait d'aussi longues randonnées ? Remarque, ce n'est pas si surprenant quand on voit l'état de tes pieds devant une rando gentillette comme ça...

– Gentillette, la rando ? J'espère que tu plaisantes ! Et puis j'ai fait des longues randonnées ! J'ai même escaladé des terrils ! Et la colline de Fourvière !

– Soit. Mais ça n'a rien à voir avec le Beaufortain, tu vois bien ! Arrête d'agiter tes pieds devant moi, ils ne sentent pas très bon. »

J'éloignai du nez d'Elise mon pied droit couvert de deux belles ampoules percées, et blanchi à cause de l'enfermement dans mes chaussures de randonnée. Je comprenais bien que les promenades dominicales en famille ne pouvaient pas rivaliser avec les chemins de montagne à dénivelé positif que j'arpentais depuis trois jours. Je n'étais montée que deux fois sur le même terril, et je ne m'étais rendue qu'une seule fois à Fourvière à pied. Elise sortit une boîte de pansements de son sac, et après avoir appliqué du désinfectant sur mes plaies avec une compresse, elle colla deux pansements sur mon pied.

« On passe au gauche, et dépêchez-vous ! » fit Aline debout sur le chemin en agitant son bâton de randonnée.

Elise esquissa une moue. Aline Selzer, une terminale qui était aussi l'amoureuse d'Arthur, n'avait pas arrêté de nous coller. Peut-être qu'elle pensait qu'en ne me lâchant pas d'une semelle, elle allait faciliter son intégration dans la famille. Constance ne l'aimait pas, et cela semblait réciproque, et quand Constance n'aimait pas quelqu'un, c'était souvent pour de bonnes raisons. Aline devait être une de ces jeunes intrigantes obnubilées par l'argent et le prestige. Arthur hériterait du titre de vicomte et du château, après tout.

Je remis mes chaussures, et me levai du rocher sur lequel je m'étais assise. Il fallait faire quelques pas pour regagner le chemin pierreux, et ma grimace de douleur n'échappa pas à Aline :

« Ce sont des chaussures neuves ?

– Je les ai achetées il y a deux semaines à la Hutte.

– Et tu ne t'es pas fais les pieds avec ? m'interrogea Elise avec gravité.

– Euh, non...

– Pas étonnant que tu aies des ampoules monstrueuses, alors. Heureusement, ce n'est que de la descente, voulut me rassurer la terminale.

– La descente est aussi, voire plus difficile que la montée. » rétorqua Elise d'un ton docte.

Aline leva les yeux au ciel, et s'élança dans la descente, sans déraper sur les cailloux qui jonchaient le chemin. J'enviais son pas léger, son visage vide de toute souffrance, et posai mon pied droit devant mon pied gauche pour faire un premier pas. J'avais l'impression que mes pieds avaient été écorchés vifs, même si le pansement soulageait pas mal ma douleur.

Quant à Emilie, si elle avait bien voulu rester à mon rythme le premier jour, elle avait fini par rejoindre le groupe informel des meilleures marcheuses composé essentiellement de lycéennes. Elles devaient avoir trente minutes d'avance sur nous. Elise m'avait donc tenu compagnie pendant le reste de la randonnée, même si je sentais bien qu'elle aurait pu aller plus vite.

« Tu faisais beaucoup de randonnées en montagne, toi ? demandai-je à Elise.

– La Lozère est un département très montagneux, donc je marche beaucoup dans le massif de l'Aubrac avec mes parents, pendant les vacances.

– Cela doit être tellement chouette de vivre là ! C'est calme, tu as la paix...

– Sans doute...C'est quand même pesant, l'isolement, au bout d'un moment. Mes parents m'ont fait l'école à la maison, et je n'ai jamais fréquenté de personnes de mon âge avant d'arriver ici. Je ne sais pas si c'est à cause de ça que j'ai eu du mal à me faire des amies...

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant