C'est le teint plus pâle et la silhouette plus amaigrie que d'habitude que j'étais revenue au collège un lundi matin. J'avais dû montrer un mot rédigé par ma mère à Mme Lebecq, expliquant les causes de mon absence. Rémission après une intoxication à la belladone, due à ma méconnaissance de la flore savoyarde.
J'avais eu droit à la condescendance de Mme Lebecq : "Pauvre enfant, quel accident regrettable !", à la surprise de M. de Xaintreilles qui avait tenu à me demander en personne comment j'allais entre deux sessions d'écriture de son livre sur l'histoire de la vallée de la Tarentaise : "cela fait quand même plusieurs mois que vous venez en Savoie et vous ne savez toujours pas faire la différence entre les deux. Surprenant", à l'ironie mordante de Mme Landré en cours de biologie : "merci mademoiselle Arvor de nous prouver que les cours de biologie ne sont pas si inutiles que ça. Même vous avez encore beaucoup à apprendre.", à une blague lourde de M. Pichard : "Non, mademoiselle Arvor, je ne pense pas qu'ingérer de la belladone était la meilleure manière d'éviter de résoudre cette équation.", au mépris glacial de Mme Carvigean : " C'est inadmissible que l'on ait ce genre de problème sur les bras. Cet accident aurait pu être évité si vous vous étiez mieux renseignée", et puis aux railleries des camarades qui n'étaient pas au secret, et qui me rangeaient désormais dans la catégorie "citadine de service".
Je m'étais attendue à chacune des réactions, déjà bien préparée par Agnès qui avait emprunté exprès un dictionnaire de botanique à la bibliothèque, et m'avait forcé à admettre qu'effectivement les baies de myrtilles et de belladone avaient une apparence bien différente, et que je les avais confondues parce que j'étais l'équivalent d'une demeurée. Preuve à l'appui : je n'avais pas sauté de classe, contrairement à elle.
En cours de français, je m'étais donc assise à ma place, serrant les dents en attendant que Mme de Saint-Fond me demande de mes nouvelles :
« Mademoiselle Arvor, vous voilà de retour parmi nous !
– Euh, oui madame, articulai-je en ignorant le début de ricanement que tentait de réprimer Armand.
– Et vous allez mieux, j'espère ? »
Je m'autorisai à lever les yeux vers la professeur de français. A travers ses lunettes, ses sourcils froncés semblaient exprimer une réelle inquiétude. Savait-elle ? J'espérais que non.
« Oui, madame.
– Tant mieux. Mademoiselle Pellent...Nanthilde ! Vous me servirez de bras pour ce cours-ci ! »
J'échangeai un regard surpris avec Emilie. C'était la première fois que Mme de Saint-Fond ne me choisissait pas pour écrire le cours qu'elle dictait au tableau.
« Quant à vous, mademoiselle Arvor, ne vous croyez pas épargnée pour autant, je vous transmettrai les exercices que vous avez manqués, à dix-huit heures. Venez me retrouver devant la classe de cinquième une. »
Ses yeux étaient redevenus pétillants de malice, et un sourire que je trouvai sadique illuminait son visage ridé. La véritable Mme de Saint-Fond était de retour.
« Alex, je ne comprends pas. Tu acceptes de te faire passer pour la cruche de service tout ça pour sauver la peau d'Elise ? Quel intérêt ?
– Parle moins fort, Solange, le but est que je reste une cruche de service. Au bout d'un mois, tout le monde aura oublié.
– Ecoute Alex, tu comprends que j'aie du mal à accepter te laisser passer pour une nunuche alors que cette vieille sorcière s'en sort plutôt bien. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus formidable.
VOUS LISEZ
De mes cendres je renais -- Tome I
ParanormalJusqu'à quel point connaissez-vous vraiment votre famille ? Un uniforme laid, une cantine qui sert des plats inommables, des camarades de classe un peu bizarres, un nom à rallonge... A part les paysages à couper le souffle, Alexandra devait bien adm...