Je regardai l'heure à ma montre. Mon cours de violoncelle commençait dans trente minutes. J'aurais bien voulu arriver légèrement en retard pour subir le moins longtemps mon manque effarant d'oreille musicale et ses conséquences. Mais il était une règle tacite entre les élèves de Mme d'Ocagne. On faisait l'effort d'arriver à l'heure en cours, car le professeur ne s'arrêtait que quand elle voyait l'élève suivant arriver. Et personne ne voulait supporter Mme d'Ocagne et ses bavardages creux et incessants sur la pluie et le beau temps trop longtemps. Pas même pour cinq minutes de plus.
Je posai mon index et mon majeur sur mon poignet, et guettai la pulsation de mes battements de cœur. Trente-cinq en un demi-tour de cadran par la trotteuse de ma montre. Normal. Une inspiration, une expiration, tout était normal.
Trente minutes. J'avais ce laps de temps tous les mercredis depuis le début de l'année, sans activité définie, sans personne avec qui faire passer le temps, trente minutes qui m'appartenaient. Je voulus regagner mon banc habituel pour lire le Cid que Mme de Saint-Fond m'avait prêté, quand je remarquai qu'Elise m'y attendait :
« Je ne veux pas te prendre de ton temps, mais je dois vraiment te parler. »
Elle ne me regardait pas quand elle me parlait, et gardait les yeux rivés sur les cimes des montagnes qui se dressaient au loin. Combien de fois avait-elle dû les peindre avec ses pinceaux d'aquarelle ? Je m'assis à côté d'elle, sans être trop proche. Elle n'avait pas l'air d'avoir aimé les marques d'affection que j'avais tenté de lui montrer au long de l'année :
« Je te remercie d'avoir bien voulu fermer les yeux sur ce que ma mère a fait. »
Je haussai les épaules. Personne dans mon entourage n'avait été convaincu de cette décision, à part ma mère, et je commençais moi-même à douter de cette fameuse intuition. Ce que m'avait dit Mme de Saint-Fond sur Cinna se restreignait au cadre du théâtre, si la technique de la clémence portait vraiment ses fruits, elle aurait sans doute été plus utilisée par les hommes politiques dans l'histoire.
« Je ne cautionne pas ce qu'elle a fait, loin de là. Mais ça aurait été compliqué pour moi si mes parents devaient être traînés en justice. Tu les détestes peut-être, maintenant, mais je ne sais pas ce que j'aurais fait si ma mère avait été condamnée à mort.
– Je ne sais pas non plus. Et même si je suis sûre que ce que j'ai fait est juste, je ne saurais pas trop te dire ce qui m'a poussé à prendre cette décision. La pensée que tu serais vraiment mal si ta mère était jugée, mais je pense surtout que c'était instinctif.
– Instinctif ? J'espère que tu ne prends pas toutes tes décisions à l'instinct, quand même ! railla-t-elle.
– Non. Mais merci à toi aussi. Sans toi, je n'aurais peut-être pas pu survivre.
– Avec ou sans la quantité de poison, ils te l'auraient donnée, l'antidote, répliqua-t-elle vivement, comme si elle ne voulait pas être associée à ma survie. On t'a expliqué, pour l'histoire entre nos deux familles ?
– Oui. C'est terrible. »
Elle me demanda de raconter en entier la version que j'avais entendue de maman. Elle tiqua quand je lui parlais des conséquences que la conduite de son grand-père sur son héritage, et parut sceptique quand je lui parlais des problèmes liés à la présidence de la compagnie d'assurances Valcivières, peut-être parce que sa version de l'histoire était différente de la mienne, mais me laissa continuer jusqu'à l'épisode que nous connaissions toutes les deux. Mon empoisonnement :
« Je reconnais que mes ancêtres n'ont pas été exemplaires pendant cette période.
– Je ne sais pas comment tu fais pour vivre avec un tel poids...
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De mes cendres je renais -- Tome I
ParanormalJusqu'à quel point connaissez-vous vraiment votre famille ? Un uniforme laid, une cantine qui sert des plats inommables, des camarades de classe un peu bizarres, un nom à rallonge... A part les paysages à couper le souffle, Alexandra devait bien adm...