Insignes

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« Arvor ! Vous devez fermer les fenêtres des dortoirs ! » aboya la surveillante.

Je courus vers Mme d'Azenova, qui me fixait avec un air sévère. Au moment où j'allais entrer dans les dortoirs pour fermer les fenêtres que j'avais ouvertes, elle me barra le passage :

« Pas de chaussures dans le dortoir !

- Oui...

- Oui qui ?

- Oui madame ! » me rattrapai-je.

Je défis les lacets de mes chaussures noires cirées il y a cinq minutes. La surveillante inspectait le moindre des mouvements de mes doigts. J'évitais de croiser son regard, et marchai d'un pas rapide - nous n'avions pas le droit de courir dans les dortoirs- vers les fenêtres que je fermai le plus vite possible.

Mme d'Azenova, la surveillante, nous avait expliqué que les Institutions déclaraient apprendre aux jeunes le sens du service et du devoir avec le dispositif des "élèves de service". En classe, ils devaient passer le balai, effacer le tableau à craie, poser les chaises sur les tables et ramasser les détritus par terre pendant une semaine. Aux dortoirs, ils avaient pour mission de veiller à la propreté des sanitaires, d'ouvrir et fermer les fenêtres, volets, ou rideaux, de vider les poubelles du dortoirs le jeudi soir.

Nanthilde, avec qui j'avais sympathisé la soirée dernière, m'avait aussi précisé que l'une des principales raisons de ce systèmes étaient les économies que cela pouvait générer. En effet, pas besoin d'embaucher de personnel de ménage. En vérité, je ne me serais pas opposée au dispositif si seulement les élèves n'étaient pas désignés en fonction de l'ordre alphabétique, et que je n'étais pas la deuxième de la liste en classe, et la première au dortoir.

Je manquai de glisser en descendant les marches de l'escalier en bois. Une des marches menaçait de s'effondrer, et j'avais encore du mal à savoir laquelle c'était.

L'espace au rez-de-chaussée servait de réfectoire pour le petit-déjeuner. Les élèves prenaient leur premier repas, composé essentiellement de boissons à base de lait de vache Beaufort et de tartines au pain de campagne, autour de quatre longues tables en sapin. Je pris deux bouts de pain qui restaient et le fond de lait chaud qui restait, avant de m'asseoir en face d'Emilie.

« Tu en as mis du temps !

- Je suis élève de service ! Et j'avais oublié de fermer les fenêtres.

- Tu oublies souvent des trucs ou c'est juste un concours de malchance ?

- Les deux, disons ça comme ça.

- Bien dormi, sinon ?

- Oui.

- Vraiment ? Tu n'as pas entendu Violette hurler à deux heures du matin ?

- J'en ai entendu parler...Elle a dit quoi ?

- Elle parlait en italien. J'espère qu'elle ne fait pas ça chaque soir, sinon ça va être compliqué pour nous de dormir... Et puis je touche presque du pied le bout de mon lit, je ne sais pas comment je vais faire en terminale. »

Je souris. Il m'était arrivé une fois de me perdre dans mon lit l'été dernier. Je mettai cela sur le compte de ma malchance, mais mon cousin Alexis pensait que c'était parce que je faisais "un mètre trente les bras levés". Ce qui était faux, puisque je faisais en fait un mètre quarante-cinq. Les bras baissés, bien sûr.

Pour une première nuit en dortoir, je ne m'en étais pas trop mal sortie. Je me trouvais dans un carré sans Solange, mais avec Emilie et Nanthilde. Dans le lit à gauche du nôtre dormait Amélie de Beltrat, une blonde au visage couvert de taches de rousseur qui s'était fait gronder pour avoir rapporté trop d'oursons en peluche sur son lit. Apparemment la limite des doudous était de trois par personne. Au-dessus d'elle, Ombeline de Saint-Amanlt, une brune à la peau plus sombre que celle de Nanthilde, et qui avait affiché sur la porte de son casier un poster de Valentina Terechkova. Pas parce qu'elle était fanatique du communisme, mais parce qu'elle rêvait de devenir astronaute et d'être la première femme à poser le pied sur la Lune. Dans le lit en face du mien, Eléonore Cardain, une asperge aux cheveux châtains et à la queue de cheval très élaborée m'avait surprise en lisant des magazines France Dimanche en guise de lecture du soir. En-dessous d'elle dormait Berthilde Felletin, une petite brune aux lunettes à grosse monture noire, extrêmement complexée par son prénom, dixième d'une famille de douze. Bien que je ne le connaissa pas davantage, toutes me paraissaient sympatiques. Violette Nardone, en-dessous de Nanthilde, ne posait pas tellement de problèmes que ça, si on ne l'entendait pas hurler au milieu de la nuit. Elle ne posait aucun problème.

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant