De l'art de poser un lapin

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«J'ai corrigé vos copies du devoir commun. Honnêtement, je ne m'attendais pas à voir d'aussi mauvais devoirs. J'ai relu moi-même plusieurs fois mes cours, au cas où j'aurais oublié, par le plus grand des hasards, de vous inculquer une des notions présentes dans l'énoncé, mais non, vous avez des lacunes terribles en mathématiques élémentaires. Et vous êtes seulement en sixième. Qu'est-ce que ça va être en cinquième ? Et je ne vous parle pas du BEPC, et je préfère me taire quant au lycée ! Vraiment, catastrophique...»

Je croisai le regard de Solange, et nous échangeâmes une grimace gênée. A coup sûr, c'étaient nos copies la cause de la mauvaise humeur de M. Pichard.

« Je distribuerai les copies dans l'ordre alphabétique, et non dans l'ordre décroissant des notes, pour éviter d'infliger une humiliation cuisante aux élèves qui n'ont pas su briller lors de ce devoir, qui je le rappelle, était à la portée de tous. »

Je fermai les yeux, comme le condamné à la décapitation avant que la mortelle lame ne s'abatte sur sa nuque. Heureusement que Philippe était avant moi. M. Pichard avait tendance à adresser ses critiques les plus virulentes aux élèves qui avaient le malheur de se trouver en haut de la pile de devoirs à rendre. Un dix sur vingt et je serai heureuse, juste la moyenne, c'était tout ce que je demandais...

« Arvor !

– Oui monsieur ? m'étranglai-je, surprise d'entendre mon patronyme.

– Passable, dans l'ensemble, vous n'avez pas daigné lire le cours sur les équations, à ce que je vois, vous ne maîtrisez que très partiellement les factorisations et le développement, qui sont indispensables pourtant pour le reste de votre cursus de mathématiques, les morceaux de bravoure semblent se limiter aux exercices de géométrie, malgré un manque de propreté inadmissible pour votre niveau. 11 ! »

Je reçus ma copie, désormais barbouillée de rouge, et poussai un soupir de soulagement une fois le professeur parti réprimander Philippe pour son manque de logique dans ses raisonnements. La moyenne plus un point, l'honneur était sauf, même si ma moyenne générale allait en prendre un coup.

« Je rappelle, pour les petits curieux, que la moyenne de la classe est de 7,4. C'est lamentable, et ne comptez pas sur moi pour mettre en place un soi-disant contrôle de rattrapage.

– Est-ce qu'on est la pire sixième ? s'inquiéta Julien.

– Non. Mais vous êtes loin d'être la meilleure.

– Qui sont les meilleurs ? voulut savoir Philomène, en attente de son passage en cinquième.

– Les sixièmes trois...Beltrat ! »

Ma voisine de devant sursauta, et regarda le professeur les yeux emplis de crainte. Comme tout le monde, elle eut droit à un mitraillage en règle de critiques sur les fautes qu'elle avait faites. 7,5.

« C'est toujours au-dessus de la moyenne de la classe.» glissa-t-elle en rangeant sa copie dans une pochette en carton rouge, pendant que M. Pichard couvrait d'éloges Eléonore pour son 17, en insistant quand même sur ses faiblesses en géométrie.

Je relus ma copie. J'avais vraiment fait des erreurs stupides, mais l'ensemble s'avérait moins désastreux que je ne l'imaginais. Solange ne retenait plus ses larmes. La pauvre. Elle avait déjà reçu de sévères reproches en français de la part de Mme de Saint-Fond au cours précédent, et le professeur de mathématiques ne l'avait pas épargnée. En même temps, songeai-je, elle savait à quoi elle s'exposait en préférant élaborer avec les jumeaux un canular "dément" à l'intention de Mme Lipelier, plutôt qu'à réviser sérieusement ses cours de maths.

« Enfin, pour terminer sur une note plus agréable, mademoiselle van Hijken...»

Emilie sortit de sa torpeur pour lancer au professeur un regard faussement surpris. Elle avait réussi mieux que les autres et elle le savait :

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant