Retour au bercail

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Je souhaitai un bon week-end à Emilie avant de pousser la porte du 21 de la rue Sainte-Hélène. Mes parents louaient deux appartements au premier étage d'un immeuble du deuxième arrondissement, en plein milieu de la Presqu'île, non loin de la place Bellecour. Les beaux quartiers de Lyon.

Ma valise me paraissait peser une tonne, et je me demandais si c'était vraiment une bonne idée d'avoir rapporté mes affaires de toilette et mes partitions alors que j'avais laissé mon violoncelle à Sainte Catherine.

Je sonnai à la porte du premier appartement, et Pierre m'ouvrit, encore en uniforme, les rangers aux pieds. Je devais le suivre de peu :

« Bonsoir Alex, tu as passé une bonne semaine ?

– Très bonne, et vous ?

– Très chargée, mais que veux-tu, c'est le travail...

– Pierre, je t'ai déjà dit trente fois de ne pas marcher dans la maison avec tes rangers ! » vociféra ma mère depuis la cuisine.

Après avoir retiré mes chaussures, je rejoignis maman dans la cuisine qu'elle trouvait trop petite. En me penchant sur la marmite, je distinguai des morceaux de raie en train de cuire dans un bouillon blanchâtre :

« Je sais que tu n'aimes pas ça, Alex, mais on est vendredi, et je devais vraiment écouler cette raie qui traînait dans le congélateur depuis trois semaines. »

Maman feuilletait un magazine de couture d'une main, à la recherche des idées pour ses robes, et maintenait un bouquet de lavande séché sous son nez de l'autre. Elle supportait mal les odeurs fortes.

« Mets ton linge sale dans la machine à laver. Et avant de de te coucher, tu feras pareil avaec l'uniforme que tu portes. Ton chandail aura besoin de plus de temps pour sécher.

– Oui maman.

– Eh bien quand Agnès aura mis la table, on pourra dîner. »

J'étais assise à côté de ma sœur pour le repas. Je n'aimais pas particulièrement cette place, près du tiroir à couverts. J'étais donc souvent missionnnée pour aller chercher les divers cuillères, couteaux de services, ou les petites cuillères que la personne qui avait mis la table avait oubliées — souvent Agnès, soit dit en passant — et passais parfois la moitié de mon repas à chercher les ustensiles que ma mère demandait, parce que la personne en charge de ranger les couverts après la vaisselle les rangeait au mauvais endroit — là, c'était souvent Pierre le coupable.

Je me servis du moins de raie possible, compensant avec les pommes de terre, et m'abstins de prendre de la mayonnaise. Agnès n'avait pas sorti de cuiller de service.

« Alors, que penses-tu de Sainte Catherine ? demanda ma mère entre deux tentatives infructueuses pour donner une cuillerée de purée de carottes à Matthieu, mon premier petit demi-frère, qui faisait la grève de la faim parce qu'on l'avait retiré à sa passionnante bataille de cubes en bois qu'il livrait avec Jacques.

– C'est chouette.

– Tu t'es fait des amies ? »

Agnès pouffa dans sa serviette. Je lui servis un regard meutrier. A l'école, elle n'avait jamais eu de soucis pour se faire de bonnes amies, et pouvait même se payer le luxe de déclarer en détester quelques-unes. Ses cheveux étaient plus blonds que roux, c'était là la seule explication que je trouvais à se relative popularité, parce qu'à la maison, elle avait tous les attributs de la petite sœur insupportable.

« Oui.

– Comment s'appellent-elles ?

– Oh, il y a bien sûr Solange, et surtout, je me suis liée avec une fille qui habite la rue Boissac, j'ai pris le train avec elle...

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant