Les points sur les i...

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« C'est parfait, Constance, merci beaucoup.

– Je vous en prie, ma tante. Attention à ne pas vous brûler avec la tasse, elle est très chaude. Oh, attendez, je vais la poser sur la table.

– Merci, souffla-t-elle. Je vais réussir à tendre le bras pour l'attraper. »

La tante Clotilde, allongée sur un canapé sous une courtepointe en patchwork, tendit le bras vers la tasse remplie de tisane au citron et au miel que lui avait préparée sa nièce. Constance, après avoir posé la tasse sur la petite table du salon des Trois-Buttes, observa la courbe que formait le ventre fécond de sa tante sous la couverture. Elle avait connu toutes les grossesses de ses tantes et de sa mère, et chacune exerçait en elle une fascination inlassable.

Que la fusion entre deux cellules minuscules donne lieu à la formation d'un être vivant, un être adorable, mais si fragile au bout de neuf longs mois l'émerveillait. Au fond, c'était assez incongru comme mode de fonctionnement, quand on prenait de la distance. Deux personnes faisaient des choses sous la couette qu'elle n'avait pas encore faites, et puis neuf mois plus tard, un enfant sortait de la bosse que formait le ventre de la mère.

Elle aimait aussi faire des pronostics sur les caractères des futurs bébés. A un mois, tous se ressemblaient avec leurs cheveux fins et leurs traits fripés, mais dix ans plus tard, elle se demandait encore comment elle avait pu en confondre certains ou comment elle avait pu se méprendre sur le tempérament d'autres. Alexandra et Solange, par exemple. La première était née deux semaines plus tôt que prévu, ce qui avait donné des sueurs froides à toute la famille, mais braillait déjà plus fort qu'un âne une heure après être sortie du ventre de sa mère en dépit de son gabarit de moucheron. Elle se souvenait d'un Noël aux Trois-Buttes, la première fois où elle avait porté sa cousine âgée de sept ou huit mois à ce moment-là, et surtout de ses hurlements stridents que personne n'arrivait à faire taire. Tante Clotilde était épuisée, mais semblait si heureuse d'avoir cette petite crevette maigrichonne pour fille. Quant à Solange, la naissance s'était passée sans encombre, comme tous les accouchements de la tante Maïwenn. Celle-ci affectionnait particulièrement raconter à ses belles-soeurs qu'elle aurait pu largement accoucher de son deuxième enfant toute seule chez elle tellement cela avait été rapide et facile.

Si Alexandra avait été ondoyée le jour de sa naissance, de peur qu'elle ne trépasse sans avoir reçu les grâces du baptême, Solange avait été portée sur les fonds baptismaux de la chapelle des Trois-Buttes à deux mois. Le parrain, le frère de Maïwenn, avait porté un gros bébé blond qui n'avait fait que dormir pendant toute la cérémonie. Constance se souvenait encore du miracle de la journée, voir la petite Alexandra babiller paisiblement avec le deuxième fils du parrain de Solange, qui avait son âge, au lieu de hurler et de tenter d'arracher sa touffe rousse ave ses petites mains.

Et maintenant ? Elle savait que la rouquine à cette heure-là avait dû se terrer dans la bibliothèque avec un ouvrage en broderie ou un gros livre, sans faire d'autre bruit qu'inspirer et expirer et tourner les pages de son roman, tandis que la blonde salissait ses vêtements dans le parc à force de jouer à des jeux complètement tirés par les cheveux avec les jumeaux. D'ailleurs, les cris qu'elle distinguait à travers l'épaisseur de la vitre n'étaient-ils pas ceux de Solange ? Elle pria sainte Rita pour que Stanislas n'ait pas fait essayer à sa jeune cousine son prototype de parachute en la faisant sauter du toit du château.

Elle se demandait ce que donneraient ses enfants à elle. Si elle commençait à en avoir parfois assez de s'occuper de ceux de ses parents, elle se disait qu'élever les siens lui plairait bien. Juste donner la vie lui paraissait dingue, et elle était touchée de faire partie des cinquante pour cent de la population mondiale capable de le faire.

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant