Constance claqua la porte en rentrant dans la classe de terminale A 1-2, et ignora les regards stupéfaits de ses camarades. Elle ne comprenait comment un être humain jeune et en bonne santé comme Arthur pouvait oublier tant de choses capitales. Il tenait ça de sa mère. Non pas que la tante Anne-Claire n'avait pas de mémoire. Ce qu'elle retenait appartenait juste à l'ordre de l'aléatoire. Elle pouvait très bien avoir ôté de son esprit l'horaire précis d'un rendez-vous médical pour Paul, le dernier de ses garçons, un jour tout en se souvenant du saint du jour, mais aussi oublier le lendemain que son fils aîné Arthur ne viendrait pas du week-end à cause de révisions et se rappeler que c'était le jour de l'anniversaire de Noémie Lebrun, une obscure camarade de classe de Jean, l'enfant du milieu, quand il était en CM1.
Arthur avait oublié de mettre son réveil à l'heure, alors qu'elle l'avait appelé l'avant-veille pour lui dire de bien y penser. Oui, elle n'était pas dupe. Il avait utilisé la même excuse de la mère trop envahissante mutatis mutandi pour justifier le lapin qu'il lui avait posé pendant les vacances d'été, au moment où ils voulaient visiter le Louvre ensemble. Et il avait sans doute déjà oublié cet épisode. Et le pire dans tout ça, c'est qu'il ne se rappelait plus qu'elle haïssait Aline Selzer. Et pourtant, à sa bien grande honte, elle lui avait cassé une quantité phénoménale de sucre dans le dos ! Ce n'était pas charitable. Mais comme "ne pas critiquer Aline" ne rentrait pas dans ses résolutions de l'année, ni dans ses efforts de l'Avent, ni dans ses efforts de Carême, sa conscience ne s'en trouvait pas trop alourdie. Aline était juste une pimbêche qui n'avait pour elle qu'un charisme a peu près admirable, et qui mettait ses ambitions personnelles au-delà du bien de la communauté lycéenne.
Connaissant son cousin, celui-ci allait être attiré par la petite blonde. Etait-elle blonde, d'ailleurs ? Elle n'était pas non plus véritablement brune. La couleur de ses cheveux ne valait sans doute pas la peine d'être nommée. Le goût qu'Arthur avait pour les femmes qui se voulaient puissantes frisait le malsain. Qu'avait-il à gagner, le futur vicomte de Mont-Frémont, à traîner avec des intellectuelles ambitieuses ? Elle avait compris quand il était sorti avec Vittoria. L'argent de la famille di Santacroce aurait été très utile pour les rénovations du château des Trois-Buttes dont Arthur hériterait à la mort de son père. Mais Aline ? Une famille de fonctionnaires descendant de "malgré-nous" alsaciens. Rien à apporter à la prestigieuse famille des vicomtes de Mont-Frémont, seigneurs de Valcivières.
La jeune fille rangea son dictionnaire de latin dans son casier et sortit du bâtiment. Elle rangerait plus tard quand elle aurait le temps, ce qui risquait d'arriver assez rarement. Elle avait décidé de continuer à prendre la tête du club d'aquarelle qu'elle avait elle-même créé, s'était engagée auprès de l'abbé Sallon pour gérer l'aumônerie et la préparation des messes avec Viviane Varteil, et bien sûr comptait poursuivre ses séances à l'orchestre du lycée avec sa harpe. On avait toujours besoin d'une harpe. Constance était toujours là en cas de besoin. Le discours du proviseur allait bientôt commencer, et si elle voulait remporter les élections des superdéléguées face à cette démagogue malhonnête qu'était Aline, elle avait intérêt à bien se faire voir de M. de Xaintreilles. Même si elle avait participé à l'écriture du discours.
Elle salua plusieurs camarades de promotion, leur demandant comment s'étaient passées leurs vacances, comment allaient leurs familles, et souhaita bon courage à chacun pour l'année décisive qui commençait. Un lycéen serait plus enclin à voter pour quelqu'un qui s'était réellement soucié de ses vacances que pour quelqu'un qui ne ferait que mettre du miel dans son discours pour l'inciter à la choisir comme déléguée de classe. Voire déléguée de niveau. Bien qu'elle critique celles d'Aline, Constance avait quand même des ambitions.
Elle aperçut, assise sur un banc dans un tailleur pantalon bleu ciel, seule, sans se soucier de l'être, sa mère. Elle serra les lèvres et s'approcha d'elle. Après tout, c'était pour sa rentrée qu'elle avait fait le déplacement depuis son travail à Paris.
VOUS LISEZ
De mes cendres je renais -- Tome I
ParanormalJusqu'à quel point connaissez-vous vraiment votre famille ? Un uniforme laid, une cantine qui sert des plats inommables, des camarades de classe un peu bizarres, un nom à rallonge... A part les paysages à couper le souffle, Alexandra devait bien adm...