Alpinisme sur taupinière

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 Constance sortit du car en trombe dès que le chauffeur serra le frein à main, ouvrit elle-même la soute pour récupérer son sac de voyage, et passa le portail en fer blanc qui venait de s'ouvrir. Remonter en courant la cour de récréation sac en main, talons aux pieds pour aller chercher par la peau du cou Aline Selzer ne lui faisait pas peur. Même mieux, elle retira ses talons pour la trouver plus vite.

Pendant le trajet de Paris jusqu'au lycée, elle n'avait pas réussi à se réjouir avec ses amies d'être enfin considérées comme des adultes, de n'avoir que le bac comme échéance avant les vacances d'été où Marie-Noëlle et elle avaient prévu de se rendre chez la marraine d'Isaure à Hyères. Elle se sentait affreusement coupable, affreusement responsable de ce qui était arrivé à Alexandra. Elle aurait dû remuer ciel et terre pour décaler son adoubement, tant pis pour ses amies, et elle aurait dû surtout ne pas se borner à confier la responsabilité d'Alexandra à une terminale. Une des Verseille, les cousines d'Arthur aurait largement fait l'affaire.

Oui, Alexandra était hors de tout danger. Mais elle avait eu de la chance. Mais si Aline avait écouté ce qu'elle lui avait dit, rien ne serait arrivé.

« Constance ? Tout va bien ? »

Elle s'arrêta net. Son petit frère, Stanislas, adossé à un des bâtiments, la regardait d'un air étonné de ses grands yeux gris. Elle n'avait pas l'habitude de courir comme ça en laissant sa jupe voler derrière elle, ce n'était pas très distingué.

« Je vais extrêmement bien, Stanislas. J'espère que tu n'as pas fait de bêtises avec Alexis, ou même tout seul. Tu te rappelles de la discussion qu'on a eue ?

– Non, on n'a rien fait. J'ai même eu un seize en maths. Mais tu n'as pas l'air contente. Ça s'est mal passé ?

– Non. Laisse-moi passer, je passe te voir après. J'espère qu'Alexis a fait lui aussi des efforts de son côté. »

Elle n'entendit pas la réponse, elle avait déjà repris son sprint. Tant pis si les garçons apercevaient ses cuisses, de toute façon, ce n'était pas le seul scandale qui aurait entouré son existence. Elle se réjouit simplement des résultats de son mensonge.

Après l'ultimatum de M. Garentenay, elle avait eu une longue conversation avec les jumeaux, le soir venu. Vu comment une personne censée maîtriser toutes les techniques oratoires et les dessous du langage comme Aline avait marché à son petit mensonge, un plus gros devait être nécessairement efficace sur les jumeaux, leur Don n'ayant aucune emprise sur elle puisqu'avec un peu de gymnastique mentale elle parvenait à le bloquer. Au lieu du simple renvoi promis par le directeur adjoint, elle leur avait annoncé un envoi en collège militaire si leur moyenne ne dépassait pas la barre des treize points au lieu de douze et s'ils se faisaient prendre à réaliser un mauvais tour.

Elle avait hésité à mettre Pierre-Louis à contribution, pour raconter ses années passées à Autun avec moults détails traumatisants, mais elle avait songé qu'il pourrait la prendre pour une menteuse et une manipulatrice. Et en plus elle avait résolu de ne plus lui parler. Elle avait menti à ses frères parce que c'était exceptionnel. Mais il était toujours hors de question de lui expliquer pourquoi c'était exceptionnel, pourquoi elle ne pouvait pas laisser ses parents s'occuper des jumeaux, pourquoi elle n'avait pas envie de passer plus de temps avec lui alors qu'elle en brûlait d'envie.

Le sac de voyage la gênerait, elle le balança au pied de l'escalier du bâtiment des salles de classes. Il était 18 heures, les terminales B avaient rarement eu cours au-delà de cette heure-là. Elle crut que la chance lui souriait enfin en voyant Aline descendre les escaliers, sans doute pour aller se ravitailler au distributeur de barres chocolatées du rez-de-chaussée.

« Constance, tu veux qu'on aille dehors pour discuter ? » proposa la blonde de sa voix la plus calme et posée possible.

Les joues rouges, les mâchoires crispées, ses yeux doux et bleus devenus gris et durs. Constance était en colère, et Aline savait exactement pourquoi. Le soir où Alexandra était entre la vie et la mort, elle avait extrêmement mal dormi. Elle avait culpabilisé. Et si Constance mettait sa menace à exécution ? Arthur serait très déçu d'elle, et il ne l'aimerait plus.

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant