Conversation autour d'un orgue

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J-2 avant la messe de Noël. Enfin, pas la vraie messe de Noël, mais celle célébrée par l'aumônier de l'établissement le vendredi avant le départ en vacances des élèves et des étudiants. La messe aurait lieu dans très exactement quarante-six heures et vingt-sept minutes, mais Constance n'était absolument pas angoissée à cette idée.

Lundi soir, elle avait réussi à recruter plusieurs bonnes âmes pour nettoyer de fond en comble la chapelle. Des parents d'élèves habitant Saint-Georges viendraient assister à la messe. Elle avait aussi repéré parmi la promotion de sixièmes plusieurs jeunes filles très impliquées. Sa relève. Elle veillerait à les responsabiliser davantage pour leur donner envie de s'impliquer de plus en plus jusqu'à l'arrivée en classe de terminale. Ce lundi soir, Pierre-Jean de Sampigny lui avait aussi donné la liste complète des servants d'autel, et avait laissé Viviane se charger de la répartition des lectures et des paniers de quête.

Mardi soir, elle avait assisté à la répétition de la chorale, menée par Viviane. Celle-ci avait la voix un peu enrouée, mais elle la retrouverait d'ici vendredi. De toute façon, il était difficile de faire meilleure animatrice de messe que Vittoria di Santacroce, l'ancienne petite d'Arthur. Elle avait aussi patienté une bonne heure près d'une des trois seules photocopieuses de l'établissement en attendant que celle-ci délivre une centaine de feuilles de messe. Une bonne occasion de faire connaissance avec la secrétaire, Mme Chastang. Elle n'avait pas été surprise d'apprendre que la vieille fille possédait trois chats et qu'elle leur offrait du saumon fumé à Noël.

Aujourd'hui mercredi, elle avait fait une revue complète du linge de messe avec les servants d'autel. Il y aurait juste un trou sur une des aubes à raccomoder. En entrant dans la chapelle, elle eut la joie d'entendre l'orgue répéter l'Adeste Fideles. Elle poussa une petite porte en bois tout fendillé cachée dans un recoin de la chapelle, grimpa un escalier très raide et parvint à hauteur de l'orgue. Un des privilèges des responsables de l'aumônerie, pouvoir se rendre partout dans la chapelle.

Pierre-Louis Leclerc avait joué lors de quelques messes de semaines, et était devenu la coqueluche de l'abbé Sallon. Il parlait du bonheur d'avoir un organiste dans chacune de ses homélies. Elle se mit à fredonner doucement les paroles en latin : Adeste fideles, laeti triumphantes, venite, venite in Bethleem. Natum videte, regem angelorum. Venite adoremus...

L'orgue s'arrêta. Constance se pinça les lèvres. Elle avait dérangé Pierre-Louis en pleine répétition.

« Constance, vous êtes là ? »

Il émergea de la tuyauterie de son instrument. Il était rasé de près. Finalement, il avait donné son bon d'inscription à l'aumônerie à Viviane, et avait eu la délicatesse de ne pas aborder l'étourderie de Constance la fois où ils s'étaient revus lors de la première messe accompagnée à l'orgue. Mais elle n'avait jamais osé l'autoriser à la tutoyer. Cela faisait bien rire Isaure et Marie-Noëlle à chaque fois que le sujet "Pierre-Louis" tombait sur la table. La jeune fille baissa son regard vers les pieds de l'étudiant. Il était en chaussettes. Elle fronça instinctivment les sourcils.

« Oui. Je suis en chaussettes, commença-t-il. Décidément, je n'apparais jamais à mon avantage devant vous. Vous n'avez vu quelqu'un jouer de l'orgue ?

– Hum...non. Il y avait un organiste quand j'étais en sixième, mais je n'étais jamais montée le voir. Je n'étais pas responsable d'aumônerie.

– Venez voir. »

Il lui fit signe de le suivre vers le buffet de l'orgue. Constance l'avait déjà vu, mais tout poussiéreux, avant qu'elle ne commence à passer de réguliers coups de plumeau depuis le début de l'année scolaire.

De mes cendres je renais -- Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant