Moi, Ombre

Chapitre Vingt-Deux

Nous finissons par quitter cet endroit aussi magique que macabre. 

Nous empruntons un sentier différent pour repartir. À l'aller c'étaient des buissons qui nous indiquaient la route, à présent ce sont des libellules. Une espèce rare qui ne vit que dans cet endroit. De générations en générations, ces insectes se transmettent le marqueur de l'Ombre. C'est surprenant : un sort héréditaire. Le sorcier qui a fait cela devait avoir beaucoup de talent.

Je m'apprête à demander à notre guide des informations supplémentaires sur une éventuelle mythologie associée à l'Ombre. Une religion peut-être ? Mais soudain, à peine ai-je écarté les lèvres, que tout autour de nous surgissent des vampires encapuchonnés. COMMENT AVONS-NOUS PU RATÉ LEUR PRÉSENCE ?

 C'est seulement lorsqu'ils laissent glisser leur cape au sol que je ressens à l'aide de mes pouvoirs leur présence. 

C'est à ni rien comprendre... Il serait donc possible de se soustraire aux sens de détection grâce à des objets ensorcelés ? (Interessant...)

Leo s'est déjà mis en position défensive, juste devant moi. Il retrousse ses lèvres et grogne, déjà à deux doigts de se transformer en loup.

Ekleandre reste calme... en apparence. Je sens que tout ses muscles sont déjà tendus : il est prêt à se battre.

Et moi... Bah moi je poireaute. 

Une des très aimable personne nous ayant tendu ce guet-apens s'avance :

- Messieurs, pourrions-nous vous emprunter Iris un instant ? Notre Comte souhaiterait la recevoir dans son palais. C'est une entrevue de la plus haute importance ! déclare-t-il d'un ton solennel.

Attendez c'est moi qui ai été transformée il y a peine quelques mois et c'est eux qui font cette erreur ? Ils espèrent réellement qu'un lycan laissera quiconque réquisitionner son âme soeur comme ça ? 

Évidemment Leo est maintenant entièrement métamorphosé, c'est un affront qu'il ne peut supporter étant donné sa nature (l'égo, tu connais).

Étrangement, je ne suis pas inquiète. J'espère que Leo ne sera pas blessé car il a tout de même en face de lui une douzaine de vampires expérimentés (il a aucune chance contre eux évidemment, hein) mais quelque chose m'empêche de m'inquiéter. 

Ekleandre sait qu'il peut venir à bout de nos assaillants mais il doit prendre en compte que Leo et moi sommes des proies faciles, ce qui lui complique grandement la tâche. Il devra faire attention à nous en se battant, ou cela pourrait nous être fatale. Mais un seul regard vers nous pourrait lui coûter cher également. Il devra nous défendre tout en se battant pour nous débarrasser de l'agréable compagnie qui veut me kidnapper.

Leo grogne. 

- Voyons il n'est pas nécessaire de s'emporter, ce n'est qu'une invitation à la discussion que nous venons porter à Madame. Mais si vous le souhaitez, lycan, vous pouvez nous accompagner : je suis certain qu'il reste une place dans les geôles du château.

J'oubliais que vampire et lycan s'aimaient comme chien et chat. Leo et moi faisons partie des exceptions : habituellement les membres de nos espèces respectives se font la guerre. Dans tous les cas ils ne ratent pas la moindre occasion de se jeter des piques.

Je glisse rapidement dans un état second. Je vois Leo se jeter sur le vampire qui parle depuis tout à l'heure : c'était sans doute la provocation de trop. Je lève la main et le magnifique loup géant se retrouve immobiliser dans les airs. Croyant d'abord à une riposte de nos adversaires, il est surpris lorsqu'il capte mon énergie dans le filet invisible qui le retient. 

Je le jette doucement sur le côté.

- Vous appartenez à la même volée que l'être qui m'a transformé, je laisse tomber.

- Effectivement, d'ailleu...

- Dites à votre Comte qu'il peut aller se faire foutre, je le coupe.

L'assemblée est stupéfaite. Pas une once de peur ne se dégage de moi. Pas vraiment de colère non plus. Juste une froideur terrifiante.

- Comment oses-tu sale petite garce ! S'emporte une vampire à ma gauche.

Celui qui semble être le chef de l'opération lui ordonne de se taire d'un ton sec avant de poursuivre :

- Et pourquoi donc refuses-tu si catégoriquement l'invitation de notre Comte, qui est le tien aussi au passage ?

Il lance un nouveau regard d'avertissement à celle qui m'a insulté. Probablement que me brusquer ne fait pas partie des ordres qu'ils ont reçu. Le fait qu'ils ne nous aient pas encore attaqués alors qu'ils ont nettement l'avantage prouve qu'un traitement spécial m'est appliqué. Pourquoi, je l'ignore.

- Il ne sera mon Comte uniquement si je lui prête allégeance. Ce qui n'arrivera jamais, soyez en certain ; je suis mon propre chef. Je ne sais quelle importance malsaine il m'a accordé pour envoyer toute une escouade me chercher mais faites lui savoir que je ne suis pas intéressée. 

- Tu nous ne laisses pas le choix... C'est dommage. EMPORTEZ-LA DE FORCE ! Ordonne-t-il.

Un battement de cil plus tard, une onde de choc se répand dans la clairière et les terrasse tous. Vitesse et réflexes vampiriques aidant, certains ont formé un bouclier autour d'eux, mais celui-ci à voler en éclat aussitôt qu'il a été en contact avec mes pouvoirs. 

Leo et Ekleandre, ouvrent doucement les yeux et quittent leur position foetale destinée à amoindrir le choc qu'ils se préparaient à recevoir, réalisant qu'ils n'ont pas été touchés, protégés par mes soins. Le kitsune se collent immédiatement à la paroi de sa bulle pour voir la scène qui se déroule. Ses yeux s'écarquillent et il semble aussi impressionné qu'attentif à mes actions.

- Partez ! C'est un ordre de votre reine ! Je prononce d'une voix caverneuse.

Dans mes iris flamboie une flamme noire comme la nuit, un brouillard sombre m'entoure, camouflant déjà mes pieds. Ma voix est grave, je ne suis plus vraiment moi. Mes pouvoirs ont pris le contrôle. 

L'électricité statique s'agglutine autour de moi.

Effrayés, mes ennemis déploient leurs ailes et quittent rapidement l'endroit. Ils ramassent leur cape à la va-vite et fusent tout droit vers le ciel. Je perds leur piste lorsqu'ils commencent à  s'éloigner vers le nord, sans doute en direction du château de leur Comte, et je suppose qu'ils ont à nouveau enfilé leurs habits enchantés.

Soudain tout se brouille, je reviens à moi. Je ne sais plus trop ce qu'il s'est passé, je vois rouge, gris, noir, je ne vois plus rien. Je perds toutes notions de la gravité. J'entends au loin le cliquetis des capsules de protection de Leo et Ekleandre qui se déverrouillent... Je crois que c'est des feuilles mortes contre lesquelles je m'échoue mais je ne suis déjà plus sûre de rien. Je perçois encore une certaine chaleur qui d'un coup me touche mais je ne distingue plus ce qui fait partie ou non de mon corps dans ce bordel.

À présent c'est le vide complet.