Chapitre Neuf

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Rentrée chez moi depuis plusieurs heures, il se fait tard. Mes parents dorment déjà. Je ne sais plus trouver le sommeil. Le marchand de sable doit m'avoir rayée de sa liste lorsque je suis morte...

Je regarde par la fenêtre de ma chambre l'orage qui fait fureur dehors.

Mon téléphone sonne. Je l'attrape sur ma commode et vois le nom de Leo affiché. Je réponds immédiatement.

- Allô ? Iris ?

- L'unique, je réponds.

- C'est Leo, je voulais te demander : tu es libre cette nuit ?

Au moins il est cash.

- Euh... Mpf... Tuf... Que... Euh... Je... C'est...

C'EST QUOI CETTE QUESTION ?!

- Si tu es occupée, ce n'est pas grave. Je comprendrai si tu préfères rester dans les bras de je ne sais trop qui sous tes draps.

Je sens l'amertume dans sa voix. On croirait presque que si quelqu'un était dans mon lit (ce qui n'est PAS le cas) il le tuerait.

Je pourrai vite faire le lien avec un des traits de caractère élémentaires des lycans, mais je choisis de ne pas le faire, pour préserver ma propre ignorance.

- Je ne suis avec personne. Je suis assise sur la fenêtre de ma chambre, je regarde l'orage, je réponds parfaitement honnêtement.

- Ah ! Ouais... désolé.

Je le sens se calmer. Il inspire un grand coup.

- En fait, je voulais savoir si tu accepterais de sortir pour faire un tour.

Donc c'était bel et bien un énième test. Eh bien figure-toi Leo que je n'ai pas pour habitude d'inviter des gens dans mon lit !

- Sous l'orage ? je demande plutôt, innocemment.

- On est des créatures de l'Ombre oui ou non ?

C'est à la frontière du défi là...

- J'arrive. Tu es où ?

...Et je ne résiste pas aux défis. Il m'a toujours fallu prouver ma valeur, je ne peux pas me défiler.

Il toussote.

- Hum... Ça fait psychopathe si je réponds que je suis dans ton jardin ?

J'ouvre la fenêtre et le vois me faire des signes timides.

Il. Est. Dans. Mon. Jardin. Ah bah d'accord. Donc monsieur se permet de venir squatter en secret chez moi au milieu de la nuit et DEMANDE si ça fait psychopathe ? La réponse me paraît évidente, non ?

Mais comment n'ai-je pas ressenti sa présence plus tôt ?

Je raccroche, saute par la fenêtre et atterrie souplement près de lui.

- Je suis là.

- Moi aussi, répond-il, moqueur.

- On va où ? je crie sous la pluie.

- Chanter à la lune !

- Quoi ? C'est quoi cette histoire ? Je ne suis pas une louve, je te rappelle !

- Et alors ? Tu ne sais pas chanter ?

Je lève les yeux au ciel. Un ciel très sombre soi-disant passant.

- Il y a une clairière, au cœur de la forêt, avec une cascade et un promontoire. Des lycans y allaient autrefois. Probablement car l'on peut très bien voir la lune de là-bas.

- Pourquoi n'y vont-ils plus ?

- La meute a dû déménager ou se faire exterminer. Je n'en sais rien. En tout cas, ils ne sont plus là depuis un moment, bien que l'on sente encore leur trace, preuve qu'ils venaient souvent.

- Très bien. Et on y va sous cette pluie ?

- Tu es une vampire ! Tu dois bien pouvoir faire quelque chose.

Mais bien sûr ! Comme si j'y connaissais quelque chose ! Je le foudroie du regard et il me sourit.

Je me concentre et tente de commander l'énergie de l'orage. Je finis par réussir à le pousser plus au nord ; je n'ai pas encore la force de le faire disparaître.

La pluie s'arrête. Mes cheveux dégoulinent, je le regarde, il est bien plus mouillé que moi, il doit être là depuis un moment.

- Bravo ! me félicite-t-il.

- Je suis trempée ! je râle.

- C'est toi qui as accepté de sortir.

- C'est vrai. Pour toi...

Je rougis. Shet. Je n'aurais pas dû dire ça. Son visage s'enflamme également et je décide d'enchaîner :

- Bon, on y va ?

- Ouais. J'y vais sous ma forme animale, tu n'auras qu'à me suivre en volant.

J'accepte sa proposition et nous nous retrouvons, une demi-heure plus tard, sur le promontoire dont il m'a parlé.

- C'est beau, je commente.

- Tu me prends pour qui ? Je ne vais pas t'emmener dans un endroit moche !

Je ne lui réponds pas, mais pose ma tête contre son torse (et oui, encore, mais les abdos, c'est génial excusez-moi).

- Tu es beau, je lui dis.

- Euh... Merci ? répond-il gêné.

- C'est un compliment, c'est comme si je te disais que t'étais intelligent, pas la peine de virer rouge tomate.

- Facile à dire pour toi. Moi, j'ai la plus belle femme qu'il m'ait été donné de voir dans les bras !

Ça s'est dit. Je devrais le remercier, mais il poursuit, prononçant une phrase qui retient mon attention :

- Et comme si ça ne suffisait pas, je suis un paysan ! s'exclame mon compagnon d'infortune.

- Comment ça un « paysan » ?

Que je sache, ses parents n'ont pas de ferme. Et même si c'était le cas, plus d'un lycéen que je côtoie est enfant d'agriculteur et ils sont loin d'être les plus pauvres de l'établissement. Pourquoi alors ce mot sonne comme une insulte dans sa bouche ?

- Rien. Laisse tomber : c'est un délire avec des potes.

- J'exige que tu me répondes !

Il soupire. Je suis trop obstinée : il sait que je ne vais pas lâcher l'affaire. Aussi, il cède.

- Comme tu voudras. Mais je te préviens : ça ne va pas te plaire...

Il prend une profonde inspiration.

- En gros, on a converti les classes sociales du lycée en classe sociale du Moyen-Âge. L'idée nous est venue car Anton n'a de cesse de répéter que tu es la « reine » du lycée. En toute logique, tu représentes donc la famille royale dans notre délire. Tes proches amis appartiennent à la noblesse. Tes connaissances, ceux pour lesquels tu as un minimum de respect apparent font partie de l'armée. Ceux que tu ignores ou dont tu sers que rarement pour t'amuser, ce sont les paysans. Le tiers état, quoi. Eux, ce sont les plus nombreux, ils triment dures pour attirer ton attention, mais n'ont rien. Ah ! Et il y a aussi les bouffons, là-dedans, on classe tous tes ex et ceux à qui tu as mis un râteau. Ce sont les plus pitoyables, ceux que nous méprisons. Ceux dont on se moque, principalement par jalousie.

- C'est quoi cette histoire ! je m'emporte.

- Je t'avais dit que...

- Je refuse que TU sois relégué au rang de paysan !

Il affiche une mine étonnée. Apparemment, il ne s'attendait pas à ce que je m'énerve pour cela. Que s'imaginait-il ?

- Attends, ça ne te fâches pas qu'on t'a inventé un royaume ?

- Ce n'est pas inventé ! Tous les bourges du lycée sont quasiment mes esclaves !

- Alors je ne comprends plus rien.

- Dans ce cas, tu es un idiot, Leo Saene !

- Mais pourquoi ?

- Tu es aveugle ou sourd ?!

Je suis debout, énervée. Il ne comprend décidément rien. Rien du tout. Mais il peut rêver pour que je sois plus clair.

Il se lève et vient me prendre dans ses bras pour me calmer. Mon cœur bat vite, trop vite. Une larme s'échappe de mes yeux humides. Il la rattrape sur ma joue. Je ne sais même pas pourquoi je pleure. Il redresse mon menton et pose brièvement ses lèvres sur ma bouche.

- Iris Alexandra Hélène Delona, je t'aime depuis la première fois que je t'ai vu il y a de cela 8 ans. Je suis amoureux de toi depuis lors, et jamais une autre n'a réussi à me faire oublier ton visage.

Je suis bouche bée.

- Je sais que ça me renvoie au rang de bouffons, mais... Je ne supporterais pas de te voir verser une larme de plus, car tu n'as pas ce que tu veux. Je suis à toi. Joue avec mon cœur si tu le veux. Je ferais ce que tu veux, mais je t'en prie ne pleure plus. Si tu veux de moi, je t'appartiens.

Je secoue la tête.

- Tu ne comprends toujours pas : tu n'es pas un bouffon, dis-je enfin. Tu es mon roi !

Son visage s'illumine. Il prend mon visage en coupe et m'embrasse. Réellement cette fois.

Moi, OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant