Chapitre Trente-Deux

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La porte s'ouvre à la volée, claquant violemment contre le mur. Le son est amplifié magiquement et fait vibrer les murs.

Un homme très grand, large d'épaules, aux muscles surdéveloppés, (en somme une armoire à glace : on pourrait faire 3 moi avec 1 lui,) apparait dans le cadre de porte. Il a une posture droite et une expression sévère. Les traits carrés et durs de son visage sont accentués par une cicatrice qui lui barre la joue droite jusqu'à la mâchoire. Il a les cheveux mi-longs gris argenté et des yeux  orageux.

Il porte un pantalon noir, une tunique beige qui lui va jusqu'aux dessus des genoux, cintrée à la taille par un cordon. Il a les manches remontées, signe qu'il a été dérangé en plein travail.

Le regard acier du mage tombe immédiatement sur moi. J'ai perturbé l'équilibre de son établissement : il est dans une fureur noire. Il compte m'infliger un châtiment terrible pour avoir osé l'interrompre.

Mon aura est passive et sa colère l'aveugle ; il est inconscient de qui se dresse face à lui. Les clients retiennent leur souffle. Ils ont à nouveau cesser de parler et de bouger. Ekleandre traverse la foule pour nous rejoindre. C'est le seul élément mobile de la pièce. Il n'a pas peur, il se poste à mes côtés avec sérénité. Il a une confiance absolue en mes capacités. Cependant il grimace quand il se trouve si proche du mage : ce qu'il dégage est étouffant. Le propriétaire est puissant, extrêmement puissant... Mais pas autant que nous. L'énergie qu'il répand dans son établissement est destinée à imposer sa domination. Mais c'est mon monde, et rien de mon monde ne peut me dominer, car il m'appartient. C'est moi qui l'ai créé et c'est à moi qu'il obéit. 

Il s'avance sans s'arrêter, de l'électricité se met à crépiter tout autour de lui et il tend sa grande main pour m'attraper par le cou. Je laisse alors exploser toute mon aura. Nos deux énergies s'affrontent, s'opposent et je l'écrase lamentablement. Ce qui figeait la salle disparait, engloutie par ma dominance ultime.

Un nuage noire s'acharne sur lui, le fait se courber, se tordre, se plier... il l'attaque, l'étouffe, l'accapare... jusqu'à ce qu'un hurlement de souffrance déchire la salle. Il a admit sa douleur, sa faiblesse. Nous sommes satisfaite. Je relâche mon emprise sur lui et le laisse, haletant, à genoux sur le sol. À genoux devant sa Reine. 

- La prochaine fois que vous lèverez la main sur quelqu'un, assurez-vous de savoir face à qui vous vous dressez. 

Je me tourne vers la salle et proclame bien fort :

- Que le monde de l'Ombre sache que sa Reine sera bientôt couronnée !

Sur ce, j'entre dans le bureau du propriétaire, l'entrainant à ma suite. Je le traine sur le sol, le tenant négligemment d'une main par le col de son manteau. Je n'éprouve pas la moindre empathie...

Je le lance au travers de la pièce, refermant la porte du couloir et du bureau d'une bourrasque. Il atterrit en travers de son fauteuil qui tombe à la renverse, le faisant chuter encore plus bas. Tandis qu'il se relève avec difficulté, je cligne furieusement des yeux ; je redeviens moi. 

Je sais que je dois reprendre les commandes et cette fois je vais de moi-même vers l'avant. Lors de l'échange dans mon esprit, nous nous croisons, et je ressens une puissante onde. Je ressors secouée quand nous nous dissocions à nouveau. C'est comme si mentalement je trébuchais après un moment d'allégresse. Je m'étais sentie "complète" l'espace d'un instant.

- Montre-moi que tu en es capable...

La voix veut que je fasse mes preuves. Je sais ce que j'ai à faire. Je me tiens droite et fière, comme quand elle était aux commandes.

- Je suis venue pour obtenir un renseignement et je ne partirai pas sans que vous ne me l'ayez donné.

Le mage noir peste et crache :

- La puissante "Reine" a besoin de moi ?

Je me suis demandée plus d'une fois pourquoi la voix, si puissante, ne me donnait pas la réponse.

- Besoin je ne dirai pas. Cette information ne m'est pas nécessaire, mais je la souhaite. Et ce que je veux je l'obtiens.

Tout le monde dans la pièce est conscient du changement ; ils savent que la chose terrifiante de tout à l'heure s'est retirée. Mais elle peut revenir, et ça aussi, ils ne l'ignorent pas. 

- Que souhaitez-vous savoir ?

- Je cherche à comprendre ce que je suis.

A voix haute, ça m'a l'air ridicule. Surtout qu'il y a quelques instants à peine, ma bouche l'a dit clairement : je suis la Reine. Mais je n'arrive pas à comprendre ce que cela représente. 

Je soupire.

- Arrêtez de me regarder comme ça : je vous demande pas si c'est étrange ou illogique, je vous demande de le faire ! 

Il remet son siège en place en soupirant lui aussi et sort un bassin miniature en pierre d'un tiroir de son bureau.

- Tendez votre main.

J'esquisse un pas en arrière, méfiante. Il prend un air agacé.

- Ecoutez, vous venez de perturber l'équilibre de mon établissement et de m'humilier publiquement. Maintenant vous exigez encore que je fasse quelque chose pour vous, alors par pitié réglons cette affaire au plus vite. Tout mon être refuse votre domination et pourtant j'y suis contraint, je n'ai aucun intérêt à vous duper : votre puissance me démasquerait aussitôt et je ne ferai que m'exposer à des sanctions supplémentaires. Je vais entailler votre main et faire une lecture de votre sang. C'est le seul moyen de récupérer les informations que vous voulez.

- Bien.

Encore une fois, ma méconnaissance du monde de l'Ombre est gênante.

Je lui tends ma main gauche tandis que la droite est saisie par Leo. J'avoue : j'ai peur d'avoir mal.

Le mage trace un sillon profond le long de ma main, de mon poignet jusqu'au bout de mon majeur. Je serre les dents mais me laisse faire. Je ne ressens pas vraiment de douleur, c'est assez étrange. C'est plutôt un fourmillement. Il laisse couler le sang dans son récipient. Sa prise, très ferme, ne se détend que lorsque le bassin est plein.

Je ramène aussitôt ma main contre ma poitrine. Leo exige de voir la plaie. À contre coeur je la lui montre. Et nous découvrons avec surprise le processus qui se déroule dans l'entaille. Il n'y a pas la moindre goutte de sang sur mon t-shirt. Les bords de chair se rapprochent à vu d'oeil, reliés par des fils noirs. Quelques instant plus tard, il n'y a plus une trace.

Le mage ricane et nous nous retournons vers lui. Il mélange je ne sais quoi à mon sang. Puis contemple le liquide dans lequel tourbillonnent des runes que je ne peux lire.

Il jette un coup d'oeil à Ekleandre et je déteste le regard qu'ils s'échangent. Ils savent des choses qu'ils refusent de ma partager. Je boue de colère.


Moi, OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant