Chapitre Trois

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Il est minuit. Je m'ennuie dans ma chambre.

Je ne préfère pas vous raconter le reste de ma journée : ce serait trop lassant. C'est toujours la même chose : j'ordonne, ils obéissent. 

Je n'arrive pas à dormir. Je ne dors plus depuis ma transformation en fait. Ça ne sert plus à rien.

Je reste éveillée.

Soudain, je décide de tester quelque chose de nouveau : j'ouvre la fenêtre et fais apparaître mes ailes sur mon dos (qui ressemblent à celles des chauves-souris avec cette peau grisâtre tendue sur des os tout en longueur. Je sais, c'est pas super esthétique). Mes deux nouveaux membres fendent ma chair et s'étendent de chaque côté de mon corps.

Je les ai déployées plusieurs fois, mais je n'ai encore jamais volé. Je m'approche du rebord et regarde en bas. Je suis au troisième étage. Une certaine appréhension m'envahit. Au pire, je m'écraserai... Et alors ? Je guérirai de toute façon !

J'essaie de rassembler mon courage et m'élance dans la nuit.

Je me jette dans le vide, me fiant à mes nouveaux instincts pour prendre la suite. Ils prennent effectivement le relai et je me mets à battre des ailes.

Je rouvre prudemment les yeux puis hurle de joie. Avant de me couvrir la bouche de mes mains en maudissant mon imprudence. En vol stationnaire à quelques mètres de la fenêtre de ma chambre, je tente de comprendre comment tout ceci fonctionne. Lorsque je suis à peu près sûre d'avoir saisi les manœuvres de base, j'entreprends de m'éloigner avant d'être malencontreusement aperçue par un promeneur nocturne.

Arrivée à une certaine hauteur, je laisse le vent me porter. Je continue de planer très longuement... Jusqu'à l'orée de la forêt. Là, j'atterris avec plus ou moins de succès et rentre dans le sous-bois pour m'octroyer une pause avant d'attaquer le chemin du retour.

Mais là, - ô surprise ! - je capte la présence d'un autre individu. Il (car c'est bel et bien un être de sexe masculin) n'est qu'à quelques pas, dans la clairière en face de moi. Je m'avance prudemment. Puis je le vois. 

Et ce n'est pas humain.

Et shet.

En face de moi, se tient un énorme loup blanc aux yeux d'ambre. Ses muscles sont puissants, sa gueule entrouverte laisse entrevoir des dents acérées comparables à ses griffes. Les motifs argentés sur sa joue droite et son cou m'indique que c'est un lycan, par contre, je ne saurai dire à quelle meute il appartient. C'est un animal, terrifiant et dangereux. Et là, je ne sais plus quoi faire.

Il m'a vu. Il me regarde. Je sens ses yeux dorés m'observer.

Je suis terrorisée (en même temps c'est pas comme si je rencontrai tous les matins d'autres créatures de l'Ombre : la seule autre qu'il m'ait été donnée de voir m'a transformé. Autant dire que ça a suffit à me traumatiser).

Si le lycan en face de moi décide de m'attaquer, je n'ai aucune chance. Même si je suis une vampire, je ne suis pas une créature de l'Ombre depuis assez longtemps ; je suis trop récente pour le vaincre. J'ai simplement espoir que, ignorant que je suis une vampire, il ne me blesse pas trop et qu'ainsi, je puisse me régénérer après coup.

La logique des choses voudrait qu'il me tue pour garder son secret. Rien que parce que j'ai osé le déranger, il devrait m'égorger. Mais il ne le fait pas. Au contraire, il prend apparence humaine et s'approche de moi, doucement. Les mains en avant comme pour amadouer un animal sauvage, il essaie de se rendre le plus inoffensif possible.

- Écoute-moi, je sais que ce que tu as vu est bizarre, mais je ne te veux pas de mal, commence t-il d'une voix douce.

Il approche encore de quelques pas et soudain... me reconnaît.

- Iris ?!

Il tombe par terre, sur les fesses. Je ne bouge toujours pas.

Ceci est le genre de situation où les deux parties voudraient se transformer en souris et disparaître.

Je connais ce garçon. C'est un lycéen qui partage beaucoup de cours avec moi. Nous n'avons jamais été proches même si nous étions dans le même collège. Je le côtoie depuis des années pourtant, je n'ai jamais rien vu, rien soupçonné. En même temps, je ne me suis jamais vraiment intéressée à lui...

- Tu veux des explications, je suppose, dit-il enfin. Je suis ce qu'on appelle un lycan - et oui ça existe : la preuve - depuis maintenant plus de 5 ans... Au passage, tu es la première personne à avoir réussi à me démasquer. Je ne sais pas si je dois te féliciter ou te plaindre d'avoir découvert ça... Je sais que c'est choquant, que tu vas vouloir en parler, mais, je t'en prie, n'en fais rien. Tout ceci te dépasse et si tu dévoiles mon identité... bah je serai dans la merde. C'est pas plus compliqué que ça... Il y a des professionnels, des chasseurs, qui traquent les gens comme moi, s'ils apprennent mon existence, je suis fini...

Je ne sais pas quoi répondre. De toute façon, je suis incapable de parler... Il y a vraiment des gens qui chassent les créatures de l'Ombre ?

- Mais à quoi bon essayer de te convaincre ?

Il se relève, l'air résigné.

- Non ! Attends !

Mon ton sonne désespéré. Ça a le mérite de faire briller une lueur d'espoir dans ses yeux.

Je m'élance vers lui, m'arrête à quelques centimètres et pose mes mains sur ses épaules.

Je lui dévoile alors mes ailes et mes crocs, lui révélant ainsi mon plus grand secret, celui que je m'efforce pourtant de cacher à tout le monde.

Il écarquille les yeux.

- Depuis combien de temps ? me demande-t-il.

- Deux semaines environ.

Il a un petit rire nerveux.

- Si je m'attendais à ça ! La reine du lycée est une vampire !

- Eh oui. Que veux-tu ? Je suis morte, c'est comme ça.

Je rougis légèrement et il sourit.

- Du coup, tu garderas mon secret ? vérifie-t-il.

- Aussi longtemps que tu garderas le mien. On est dans le même bateau, non ?

Il hoche la tête et après un petit silence se remet à parler :

- Je ne pourrais jamais te trahir, Iris.

Cette déclaration est émouvante, même si je n'en saisis pas toute la teneur.

Nous nous asseyons l'un à côté de l'autre afin de discuter un peu.

- Pourquoi ne m'as-tu pas tuée ? je demande en premier.

- Parce que je ne suis pas un tueur. J'ai décidé ça il y a longtemps déjà.

Noble décision. Je pose alors ma tête sur son torse (et me rends compte à quel point il est musclé).

- Merci.

Attention mot rare ! Je ne remercie jamais personne. Tout m'est dû. Mais là, je trouve que c'est nécessaire.

- Je ne m'étais pas rendu compte à quel point ce secret me pesait avant de te l'avouer. C'est dur de devoir cacher à tout le monde qui on est.

- Je sais.

Oui. Lui, il sait. Il comprend.

- Et puis les humains sont tellement différents ! Ça fait du bien de parler à un semblable pour une fois ! Mais je ne devrais pas me plaindre, toi, ça fait 5 ans que tu vis cet enfer. Tu avais à peine 12 ans quand tu es mort !

Et voilà ! Je me soucie de quelqu'un d'autre ! Je vous laisse en tirer les conclusions qui s'impose, je n'en ai pas le courage.

Il me regarde d'un air bizarre, car je venais de le plaindre, lui, pas moi.

- Connais-tu au moins mon nom ?

- Leo.

Il semble impressionné et gonflé de fierté. Et peut-être aussi un peu intimidé parce que je suis à moitié allongée sur lui (mais franchement, c'est trop confortable les abdos).

- Qu'est-ce que tu fais ici ? me demande t-il.

- Je me promenais. Mais je pourrais te retourner la question.

- Je m'entraînais. Comme toujours, à la même heure, au même endroit.

Mon téléphone sonne alors, et je le sors de ma poche. C'est l'alarme que je m'étais mise pour ne pas oublier de rentrer. Je croise le regard de Léo.

- Tu dois rentrer ?

- Oui. Il est 4 heure. Le temps que j'arrive chez moi, que je fasse mes devoirs et que je fasse style j'ai dormi toute la nuit pour mes parents lorsque je descendrai à la cuisine à 6 heure, je n'ai pas le choix.

Il hoche la tête. Un peu déçu, pas vraiment surpris.

- Mais on se voit demain au lycée, je lui assure.

- Depuis quand tu traînes avec des mecs comme moi ?

- Depuis que je l'ai décidé.

- T'as pensé à ta réputation ?

- Tu t'inquiètes tellement pour moi ?

- Toujours.

- Le lycée est mon terrain de jeu. J'y fais ce que je veux. Alors : à plus tard.

Je l'embrasse sur la joue, déploie mes ailes et m'envole.

Mes derniers mots sont une promesse.

Moi, OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant