Chapitre Six

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À la sortie des cours, juste avant que je monte dans la sportive décapotable de Théo, Leo me rattrape.

- Iris !

Je me tourne vers lui, m'appuyant sur la portière.

- Oui ?

- Euh... je... enfin, tu... On pourrait... Après, c'est seulement si tu en as envie ! Mais on pourrait hmpf... se... tu vois puisqu'on commence à traîner ensemble tout ça... je me suis dit qu'on pourrait échanger nos... nos numéros de portables. Enfin, du coup... tu... tu le veux ? Je veux dire... tu as envie qu'on échange nos numéros ?

Je m'amuse de sa gêne. Je ne l'aide pas, je le laisse bafouiller jusqu'au bout. Finalement, je crois bien que mon titre de reine du lycée l'atteint aussi ! Après les affronts qu'il m'a faits tout au long de la journée, il est timide de me demander quelque chose d'aussi banal ! Il me fait bien rire.

J'attrape un stylo dans mon sac et inscris à l'encre violette mon numéro, en gros, bien lisible, sur son avant-bras. Il regarde le tatouage éphémère, surpris.

Je dépose un rapide baiser sur sa joue et murmure à son oreille :

- Suffisait de demander.

Il sourit jusqu'aux oreilles. Je lui fais un clin d'œil et monte avec grâce dans la voiture dont le chauffeur s'impatiente. Après un dernier signe de la main à son intention, je bascule la tête en arrière et savoure le vent sur mon visage.

Théo accélère pour nous emmener hors de vue du lycée puis, bientôt, à l'extérieur de la ville elle-même. Un sentiment de liberté m'envahit.




Théo a été relativement silencieux pendant le voyage, comme à chaque fois. Il m'offre un répit durant ces balades que je ne trouve nulle part ailleurs et je ne le remercierai jamais assez pour cela.

- Iris ?

J'ouvre une paupière et dirige mon attention vers le conducteur.

- Hm ?

- Pourquoi t'as donné ton num à Léo ?

- Parce qu'il me l'a demandé.

- Tu sais très bien que ce petit jeu ne fonctionne pas avec moi. Tu as fait de lui une espèce de "favori" en lui laissant tout un tas de privilèges que les autre n'ont pas... Explique-toi.

- Je l'aime bien : il m'intrigue.

- C'est tout ? Il t' « intrigue » ?

- Oui.

- Tu ne serais pas en train de t'attacher à lui par hasard ?

J'ouvre brusquement les deux yeux et me redresse.

- Non !

- Tant mieux. Rappelle-toi bien d'une chose Iris : s'attacher à quelqu'un, c'est lui donner du pouvoir. Plus les autres ont de pouvoirs sur nous, moins nous avons de pouvoirs sur nous-mêmes. Tu as une position et une réputation à préserver : ne te laisse pas avoir. Ton statut est trop enviable. Et même ceux qui prétendent être amoureux de toi, c'est la reine du lycée qu'ils voient. Pas Iris Delona. Une autre serait à ta place, ce serait elle qu'ils aimeraient. Alors même si Leo "t'aime", si tu lui ouvres ton cœur, si tu lui montres qui tu es, il ne mettra pas beaucoup de temps avant de se rendre compte qu'il peut te renverser. Parce que tu es aussi humaine. Et quand l'illusion sera brisée, il cessera de t'aimer et te détruira...

Je me crispe et serre les poings. Ses paroles me replongent dans le passé...

À mon arrivée en seconde, j'ai rapidement gagné l'estime de mon entourage. Je n'ai eu aucun mal à m'implanter en reine. Au collège déjà j'étais maîtresse de mon monde, je me suis rapidement adaptée pour faire du lycée mon nouvel empire. À cette époque-là, Théo était dans ma classe. Il est rapidement devenu mon grand frère de substitution et, étant à sa deuxième année de seconde, c'est lui qui m'a conseillé. Sans lui, je n'aurai pas si bien réussi. Il m'a évité nombre de faux pas.

Quelques semaines après le début des cours, il m'avait tenu ce même discours. Je ne l'ai jamais oublié. C'est devenu mon hymne. Tout mon fonctionnement est basé là-dessus. Je ne dois montrer aucune faille, car les autres n'hésiteront pas à passer par là pour me détruire.

Je. Dois. Être. Insensible.

Leo a beau être un lycan, il reste une personne. Et je dois me méfier de chaque personne. Je ne peux pas me permettre d'oublier ceci alors que je suis déjà fragilisée.

Je reviens à la réalité. Théo s'est arrêté et attend ma réponse.

Je me redresse fièrement et déplie lentement mes doigts. Je hoche la tête. Il me répond par un signe de tête similaire et redémarre.

Je pourrais toujours compter sur mon frère de cœur. Il ne m'a jamais laissé tomber et ne m'abandonnera jamais. C'est mon seul véritable allié. Et aujourd'hui il m'a rappelé une leçon importante.

Je ne peux pas me permettre de continuer ainsi avec Leo. Il en va de ma réputation. Je suis déjà affaiblie et je dois veiller à ce que personne ne le remarque. Je préfère économiser mon énergie : je vais arrêter immédiatement cette valse dangereuse entre le lycan et moi. Je dois le faire.

Moi, OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant