Moi, Ombre

Chapitre Trente-Quatre

Finalement, le propriétaire a quand même été aimable avec moi, du moins sur la fin. Même si de tout évidence je n'ai toujours pas mes réponses. J'espère que la carte que je tiens dans les mains nous y conduira.

L'entretien se termine et nous sortons de l'établissement. 

Je découvre alors une large rue pavée où circule des créatures, toutes espèces confondues. J'effectue un tour sur moi-même, émerveillée par le décor. C'est la définition même de la diversité.  

Si je devais définir le style architecturale je dirais qu'il est "magique". Certains bâtiments défient toutes les lois de la gravité. Ici aucun code ne semble régir les constructions. Par exemple : une tour de 5 étages est posée sur une échelle au bout de la rue.

Il semble n'y avoir aucun véhicule. Tout le monde se déplace sur ses pieds, sur ses pattes, en lévitant... Aucune machine en vue. Le flot, sans représenter une foule dense, est incessant. 

Les façades sont superbes, toutes uniques. Chaque propriétaire l'a décorée à sa façon. L'ensemble est loin d'être homogène et parait peut-être même trop chargé, mais je n'ai jamais vu une rue aussi belle. Pourtant j'ai voyagé dans de nombreuses cités touristique, cependant rien ne peut rivaliser dans le monde des humains.

La devanture du bar est incrusté de LEDs qui s'allumeront probablement dès la tombée du jour. L'entrée est un rideau de perle semblable à celui par lequel nous sommes sortis du couloir. Celui-ci est cependant bien plus brillant. 

Même les pavés que je foule sont multicolores. 

- Regarde tout ce que la magie est capable de produire ! Tu contemples le fruit de siècles d'existences, de sorts lancés là au hasard, de destins qui se chevauchent. Ce sol a été scellé par des créatures ayant un lien particulier avec la terre, et chaque tâche de couleurs, chaque égratignure, chaque magie qui l'a frappée depuis a une histoire. Ressens...

Et pour la première fois j'ai ressenti. Transportée hors de mon corps, mais sans le quitter totalement, je vois défiler toutes les existences qui sont passées par là. Plus encore, j'ai l'impression de vivre à travers tout ces gens. Je reconstitue chaque évènement qui a mené à chaque changement de cette rue. Les bâtiments qui se sont érigés, qui ont été détruit, toutes les modifications qu'ils ont subi. L'origine de chaque coloration du sol. Je vois les nains entrer discrètement dans ce qui est devenu un bar aux allures modernes. Les siècles se mélangents, se succèdent. Je n'ai plus de notion du temps, tout s'est passé en même temps. Ai-je vu aussi l'avenir ? Je ne sais pas. Des tâches de sang, le bruit d'une mitraillette, un règlement de compte entre deux taverniers, des ballons qui s'envolent, une prière... je vis toute l'histoire de cet endroit. 

C'est indescriptible. 

La voix me fait revenir à moi. Je me rappelle alors la réalité. Je crois que je me serais perdue sans son aide pour me faire reprendre conscience. La connaissance qu'elle m'a apporté est immense. 

- Tout va bien ? s'inquiète Leo suite à mon absence.

Je veux le rassurer mais quelqu'un me coupe en m'interpellant :

- Bonne chance, Majesté.

Je me retourne vers Talethos.

- Je n'ai pas besoin de chance ! je lui lance avec arrogance, un sourire rieur aux lèvres.

Ses lèvres s'étirent subtilement. 

- A bientôt ! Nos chemins se recroiseront ! lui dis-je en guise d'au revoir.

Je suis convaincue que je le reverrai. Pour toute réponse il fait une courte révérence en ma direction. Après un dernier regard échangé avec Ekleandre, il rentre dans son bar.

- C'est ici que nos chemins se séparent, annonce alors notre guide.

Je m'en doutais. Le contrat était qu'il nous conduise en ville, il a déjà fait plus que sa part. Leo est surprit et veut protester, mais je ne lui en laisse pas l'occasion : 

- Merci pour tout, Ekleandre. Nous nous reverrons quand il sera temps pour moi de remplir ma part du marché j'imagine ?

- Tout à fait. Ce fut un plaisir de vous servir, ma Reine. 

- Ce fut un plaisir de vous rencontrer.

- Vous savez... J'ai entraperçu l'avenir... C'est pour ça que je vous ai contrainte à me faire cette promesse. Pour avoir un abri le jour où il m'en faudra un, car je sais à présent qu'il m'en faudra un. Cependant, si vous sollicitez à nouveau mon aide je ne vous demanderai plus rien. Je suis votre fidèle serviteur.

- Ekleandre vous...

- Vous êtes ma Reine. Je vous dois toute l'aide que je peux vous apporter. 

Je hoche la tête. Cela ne servirait à rien d'insister.

- Merci.

Le kitsune s'incline puis se métamorphose sous nos yeux en un merveilleux petit renard à neuf queues. Puis il détale dans les rues.

- Je ne vous oublierai pas...

Je confie ma promesse au vent mais c'est devant l'Ombre que je la fais.

- Bon... eh bien il semblerait qu'il ne reste plus que nous deux. Et si on trouvait un moyen de sortir de la ville pour commencer ?

Je prends la main de Leo. Il a raison : ne perdons pas de temps.