Chapitre Cinq

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Je suis installée à table, mon plateau intouché devant moi. Leo (et son ami dont j'ai déjà oublié le nom) arrivent enfin. Je fais signe à Opaéphine qui se lève pour qu'ils repèrent où nous sommes assis. Elle s'exécute et ils arrivent.

Leo se laisse tomber sur la chaise à ma gauche avec un soupire.

- Faites-moi penser de ne plus faire sport avec Amanda : elle m'a détruit le dos !

Je tente de réprimer un rire. Il joue décidément très bien la comédie : non seulement il mange énormément, mais en plus il fait croire à des blessures. Il faut déjà y aller pour qu'une humaine blesse un lycan !

Voyant que son anecdote me fait sourire, qu'elle me plaît, Sarah décide de demander des détails.

Ils choisissent même les sujets de conversations en fonction de mon bon vouloir...

Je continue de chipoter dans mon assiette. La nourriture est fade. Tout a un goût fade. Sauf le sang ! J'aime le sang. En fait, c'est la seule chose que je tolère depuis ma transformation. Leo n'a pas cette répulsion pour la nourriture, mais elle n'a assurément aucun intérêt pour lui. Cependant il est grand, fort, s'il ne mangeait rien, les gens se poserait des questions. Personnellement, je mangeais déjà peu avant...

- Comment t'as t-elle blessée ? je demande, un sourire sur les lèvres.

Il voit l'amusement dans mes yeux. Parce que moi, je sais, je sais qu'il ment. Il sourit à son tour. Notre secret risque de déclencher bien des fous rires incompréhensibles pour les autres...

- Elle m'a sauté dessus ! On venait de gagner un match et elle s'est jetée sur moi !

Quelques blagues à fortes connotations sexuelles fusent. Moi, je me crispe. Pour une raison inconnue, tous mes muscles se contractent violemment et je ferme les poings. 

Leo le remarque immédiatement. Je lui lance un regard effrayé, ne sachant ce qui m'arrive. Il comprend le message. Il sait que je suis transformée depuis très peu de semaines et que les premiers temps sont toujours difficiles. 

Il pose une main sur la mienne. Pendant que les autres rient, le temps semble suspendu autour de nous. Son pouce trace des cercles sur le dos de ma main et nos regards semblent accrochés.

Il arrive par je-ne-sais-trop quel miracle à me détendre à nouveau.

- Iris ?

Je reviens brusquement à la réalité et me tourne vers Théo :

- Oui ?

- T'as quelque chose de prévu ce soir ?

- Non.

- Ça te dit de faire un tour alors ? Je viens te chercher direct après les cours, j'ai fini une heure avant.

- À fond !

Bien que nous ne soyons qu'en janvier, Théo a déjà 18 ans (il a redoublé) et c'est un des seuls par conséquent à avoir la permis. Et une voiture du coup. 

Théo est une des rares personnes de ce groupe que j'apprécie réellement. Ces tours en voiture sont devenus une habitude entre nous. Ils m'ont toujours fait du bien en me changeant les idées. Car, oui, parfois, c'est pesant d'être la reine du lycée. En ce moment, j'en ai plus besoin que jamais.

C'est aussi un des rares avec qui je n'étais pas encore en couple. Je ne serai d'ailleurs jamais avec lui. Sans compter le fait que notre relation a un caractère très fraternel, je n'accorde qu'une importance stratégique à mes "histoires d'amour" alors être en couple gâcherais tout selon nous.

Théo fait ensuite un signe vers mon assiette et je la lui tends. Il n'a même plus besoin de parler, je sais ce qu'il veut.

Certaines choses sont restées comme avant - avant que je sois transformée - et ça me fait du bien, ça me console un peu. Et que Théo se serve dans mon plateau parce que je ne mange rien et que lui a toujours faim, est l'un de ces événements inaltérables.

Il vide mon assiette dans la sienne puis me la redonne. Il scrute alors mon plateau, semblant réfléchir. Je le connais que trop bien et je lui passe mon repas dans son intégralité.

Il sourit, je rigole. Le lycée me permet au moins de penser à autre chose de temps en temps...


Nous sortons de la cantine. Leo semble... amer. Je ne comprends pas ce qui a entaché son enthousiasme légendaire... Il continue de donner le change devant les autres, mais mes sens de vampire me font savoir que quelque chose l'a attristée.

Arrivé dans la cour, notre groupe se scinde en trois : une partie commencent les cours plus tôt et doit chercher ses affaires, l'autre à encore du temps. Leo et Victor (j'ai appris son nom durant le repas) se détachent et font mine de partir.

Je me précipite pour les rattraper. J'agrippe Leo par la manche. Il se retourne et m'adresse un regard froid. Je suis frappée par ce qu'il dégage. Qu'ai-je fait durant le repas pour qu'il m'en veuille ?

Je me ressaisis cependant bien vite.

- Pourquoi ne restez-vous pas avec nous tous les deux ?

Victor semble très enthousiaste à cette idée, lui qui est heureux de pouvoir traîner avec les "populaires" (ou la cour de la reine, à vous de voir comment vous voulez appeler mes "amis") pour une fois.

Leo par contre est clairement celui qui les a dirigés afin de s'éloigner et n'a pas l'air de vouloir rester plus longtemps.

- Un problème ? je lui demande alors avec un ton plus autoritaire.

Je ne l'interroge ni méchamment, ni froidement, mais avec une certaine fermeté et avec ma fidèle aura de royauté.

Il souffle, se passe une main sur le visage, puis se calme d'un coup. Il est maintenant plus triste que contrarié.

- Aucun. Je ne pensais pas que tu tolérerais notre présence plus longtemps.

- Qu'est-ce qui te fais dire ça ?

Il n'a donc rien compris ! Ok, avant je l'ignorais royalement (c'est le cas de le dire) mais tout a changé ! Maintenant, je souhaite uniquement l'avoir près de moi !

Son expression me fait penser qu'il ment. Il y a autre chose... En repensant le "test" qu'il m'a fait passer, je suis convaincue que c'est quelque chose d'autre qui l'a dérangé. Je devrais en reparler plus tard avec lui, quand il n'y aura pas de public.

Je lui offre un sourire convaincant :

- Quand la présence d'une personne m'insupporte, je le lui fais savoir. Je t'assure que tu n'as pas à croire que vous dérangez, car ce n'est pas le cas.

Son ami est à deux doigts de sautiller de joie. Lui finit par hocher la tête et nous retournons avec les autres.

Nous sommes maintenant moins d'une dizaine et choisissons (ou plutôt je décrète) de nous asseoir sur des bancs. Il choisit de se placer à une certaine distance de moi.

Les discussions démarrent, mais je n'y fais pas trop attention. Leo n'a pas encore compris une leçon importante : j'ai toujours ce que je veux.

Je fais mine de m'intéresser à ce qui se dit à ma droite. J'argumente un peu. Tom, assis tout au bout, me répond. Je leur fais croire que je n'ai pas compris et m'approche. J'échange avec mon "ami" en me tenant debout face à lui. Puis, comme si c'était tout à fait normal, je m'assois sur les genoux de Leo, faisant croire que c'est pour continuer la discussion tout en étant assise.

Il ouvre de grands yeux étonnés. Puis ça fait tilt dans sa tête. Il comprend mon manège et sourit. Et je suis heureuse de le voir sourire. Je lui décoche un regard en coin, plein de malice.

Il réalise alors enfin que je le veux, lui, près de moi et qu'il n'est pas question de protester.

Il lève les yeux au ciel, sans pour autant que son étincelant sourire quitte son visage. Je m'appuie un peu plus contre lui et il passe un bras autour de ma taille.

Autour, les gens sont surpris. Mais qu'est-ce que nous sommes bien là...

Moi, OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant