Chapitre Quatre

72 16 1
                                    

Un nouveau jour se lève.

Mon réveil vient de sonner. Je me lève, faisant semblant de sortir d'une longue nuit de sommeil lorsque ma mère vient ouvrir mes rideaux pour me forcer à émerger.

Un sourire flotte sur mes lèvres, je me remémore la nuit passée : j'ai rencontré un lycan.

Il est si... spécial. En l'espace de quelques instants, je me suis attachée à lui et... ça me fait peur.

En arrivant devant le lycée, je décide d'entrer dans le garage à vélo (lieu où je ne mets habituellement jamais les pieds). Je me dirige vers l'espace réservé aux scooters et aux motos et j'attends.

On me jette beaucoup d'œillades intriguées, mais personne n'ose me demander ce que je fais là. Je foudroie du regard ceux qui s'attardent un peu trop sur ma personne. Adossée à un mur de l'abri, j'attends. Un défilé de lycéens passe devant moi, mais aucun n'est celui que je veux. Je chasse d'un revers de la main quiconque tente de me parler. J'attends.

C'est là qu'il arrive. En me voyant, il est étonné. Garant son scooter dans le premier emplacement qui vient, il retire vivement son casque et me regarde, croyant que c'est un rêve.

- Iris ?

- Tu oses être surpris ?

- Honnêtement, oui.

Si vous, lecteurs, êtes également surpris que j'ai tenu parole, honte à vous !

- C'est vexant, je lui dis.

- Écoute, quand la reine du lycée s'intéresse à toi, comme ça, d'un coup, tu te dis que ça ne va pas durer... C'est pas contre toi, poursuit-il en voyant ma mine boudeuse, mais pour ne pas être déçu, je préfère ne m'attendre à rien... Avant, c'est à peine si tu connaissais mon existence, et maintenant, tu voudrais traîner avec moi ? Désolé d'avoir nourri des doutes.

Je me sens mal. Pour la première fois depuis le début de mon règne, je suis mal à l'aise face à quelqu'un à qui je n'ai pas prêté assez d'attention et je m'en veux presque d'être aussi odieuse.

Je secoue la tête pour chasser ces pensées de mon esprit et reprends contenance.

- Je te pardonne... mais rappelle-toi : je ne suis pas une menteuse.

Nous savons tout deux que ce n'est pas lui qui a des choses à pardonner mais c'est pour la forme. Et pour me redonner du courage.

- Bien, votre Majesté.

Il me sourit pour m'assurer qu'il n'éprouve aucune rancœur contre moi. J'étire timidement mes lèvres à mon tour.

Malgré sa nature, malgré l'épreuve effroyable que cela a dû être pour lui, malgré toutes les difficultés qu'il a rencontré, seul, face à son statut de lycan, c'est un jeune homme optimiste, heureux, qui sourit à la vie. Une vie qui a été pourtant cruelle avec lui. Il ne s'est pas laissé briser, il a su donner le change pendant des années, illusionner tout son entourage alors qu'il n'avait que 12 ans. Pour cela, je l'admire. Sincèrement. Car moi, je sais combien cela est difficile.

Leo finit de cadenasser son véhicule, ouvre sa veste de cuir (je ne me gêne alors pas pour mater ses abdos si bien définis à travers son t-shirt moulant) et me tend la main. Le geste me touche. Beaucoup trop d'ailleurs. Je ne le mérite probablement pas. En fait, il n'y a même pas de « probablement » qui tienne. Je ne le mérite pas.

J'ai été une idiote pendant toute ma vie, il a fallu que je meurs pour m'en rendre compte. J'ai passé mon temps à couler des gens comme lui, leur faisant volontairement du mal. Rien qu'en ignorant les personnes qui m'entouraient, je les ai blessés. Avant, je savais déjà que je leur faisais du mal, sauf que je m'en foutais. Mais avec Leo, c'est différent.

J'ai tant souffert de ma transformation en vampire, alors que j'ai 17 ans, deux semaines à peine derrière moi et aucune autre pression... Ça a été pire pour lui. 

Je sais exactement ce qu'il a vécu. Cette expérience nous rapproche obligatoirement. Nous nous comprenons. L'autre nous permet de ne plus être seuls.

Son histoire, l'histoire de ce que je croyais être celle d'un lycéen comme un autre, me fait réaliser. Il y a quelques temps, j'aurai pu rire de lui, le rabaisser, le blesser juste pour le plaisir ou pour conserver ma réputation. Si ça se trouve, je l'ai même déjà fait ! J'aurai pu faire ceci, alors qu'il souffrait.

Pour la première fois de ma vie, je me mets à la place d'un autre. Il a vécu la même douleur face à sa transformation que moi, mais moi je n'ai pas eu - en plus - à subir le mépris d'une fausse reine.

Après ce qu'il a vécu, il ne mérite pas qu'on le blesse encore. Après ce qu'il a enduré, il devrait vivre comme un roi.

Je prends alors une décision : à partir de maintenant, je le protégerai. Je lui offrirai mon influence, qu'il puisse profiter de mon pouvoir au sein du lycée. Cela ne taira pas sa douleur, jamais nous ne guérirons de la douleur psychologique liée à notre mort, mais j'espère qu'il aura ainsi une vie un peu plus agréable. Si je peux le soulager, ne serait-ce qu'un petit peu, je suis prête à le faire.

Je regarde son sourire bienveillant, puis sa main tendue et la prends sans hésitation. Nous entrons, ainsi, ensemble, dans le bâtiment principal du lycée.


Je vous laisse imaginer la polémique : la reine du lycée, vue main dans la main avec un lycéen que peu connaisse, gentil, mais absolument pas populaire. Je ne vous parlerai pas de tout les regards que l'on nous a jetés dans les couloirs, ni des murmures qui nous suivent, car je m'en contrefiche.

Depuis plus de deux semaines, je n'ai quasiment plus aucun contact physique avec mes proches. Tenir la main de quelqu'un, tenir sa main, c'est du luxe !

À midi, à peine la sonnerie retentit, je me précipite hors de la classe et demande sa salle à ceux qui m'entourent. Je dévale les escaliers et le rattrape à la sortie de son cours, un des rares que nous n'avons pas en commun. Il est en train de rire avec quelques autres lycéens, je le regarde de loin, puis me décide à m'approcher. Un de ses amis fait un signe de tête dans ma direction. Il se retourne et hausse un sourcil, surpris. Je les rejoins, prends une posture assurée, ignorant les regards des autres et l'invite à manger à ma table. Il est à nouveau étonné.

À mon plus grand soulagement, il accepte. J'avoue que pour la première fois, je nourrissais des doutes quant à la réponse à cette question. Après tout, pourquoi un mec aussi bien que lui voudrait se mettre à fréquenter une fille dans mon genre ? Je souris puis esquisse un mouvement pour repartir, afin de prévenir ma tablée habituelle de mon invité, mais il me retient en m'attrapant par le poignet.

Ses amis retiennent leur souffle. Le dernier qui a fait ce geste s'est pris une généreuse gifle de ma part. Je ne supporte pas que l'on m'entrave. Pourtant, cette fois-ci, cela ne me dérange même pas.

- Victor peut aussi manger avec nous ? Il sera seul autrement. Je ne m'attendais pas vraiment à ce que tu me convoques à ta table alors j'avais prévu de manger avec lui, ça me foutrait mal de l'abandonner.

Stupeur totale autour de nous. Non seulement, il insinue que je l'oblige (presque contre son gré à manger avec moi) mais en plus, il ose m'en demander encore plus que l'immense honneur que je viens de lui accorder.

Les visages autour de nous exprime clairement « COMMENT PEUT-IL FAIRE ÇA ?! ». Lui, il esquisse un sourire légèrement provoquant et une lueur de défi brille dans ses yeux. Oui, il veut me tester. Il sait que la mort (surtout quand c'est notre propre mort) PEUT changer les gens. Il veut savoir si j'ai vraiment changé, s'il m'importe vraiment ou s'il n'est pour moi qu'un coup de tête parmi d'autres.

Je souris et je suis certaine qu'il voit le reflet de son défi dans mes yeux. Une poignée de secondes restent hors du temps tandis que nous nous regardons, yeux dans les yeux. Je m'apprête à faire pour lui ce que je n'ai jamais fait pour personne, ni mes anciens petits amis, ni mes amis : mettre ma réputation en péril.

- Bien sûr !

Je ne risque pas grand chose. Je ne perds pas mon titre de reine par ce relâchement, mais il est certain que ce n'est pas bon pour mes affaires de laisser un exemple d'une "infraction" à mon règlement officieux. Les autres pourraient y voir une brèche dans mon statut de reine, mais ce n'est pas important. Enfin si, mais je pourrais facilement régler ceci plus tard, pour le moment, ce qui compte, c'est le sourire éclatant qu'il m'adresse. Il faut croire que j'ai réussi son test. Il est réellement heureux. Grâce à moi. Et ça, ça vaut tous les lycéens-esclaves du monde.

Moi, OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant