Nous retournons chez nous en coup de vent. Chacun laisse un mot à ses parents pour leur manifester tout notre amour, puis nous fuyons.
Il se métamorphose en loup et m'invite à monter sur son dos. C'est la première fois que je me déplace de cette manière et il faut avouer que c'est incroyable. Je sens ses muscles puissants se mouvoir et nous propulser toujours plus loin.
Nous ne parlons pas. Nous poursuivons, inlassablement. Toujours plus loin. Nous franchissons plusieurs frontières, nous ne nous arrêtons pas. Nous ne passons que par des lieux déserts, inhabités. Nous ne voulons être vus.
Je me souviens de la fête du week-end passée. J'étais si... humaine. Pour une dernière fois, j'ai vécu mes problèmes d'adolescente. C'était purement ridicule. Je prends conscience de ce que nous faisons : une fugue. Je prends conscience de l'importance de cette décision. Nous sommes partis pour ne jamais revenir. Les conséquences sont immenses. Je laisse toute ma vie humaine dernière moi. Tout mes petits soucis, envolés. Ils n'ont plus d'importance. Je me rends compte à quel point c'était pathétique quand nous nous lançons à la découverte du vaste monde.
Ce n'est qu'au bout de plusieurs jours, dans un pays lointain, dans une autre forêt, que nous effectuons notre première pause. À présent nous sommes sûrs de ne plus être retrouvés.
Je descends du dos de Leo et il reprend forme humaine. Nos regards se croisent et nous voyons notre propre détermination se refléter chez l'autre. Nous nous autorisons enfin à briser le silence qui s'est installé.
- Nous avons pris la bonne décision, m'assure Leo en lisant le doute dans mes yeux.
Je reste un instant pensive.
- Comment fais-tu pour être si serein ?
- Depuis ma transformation, je sais que je suis en sursis. Ce moment devait arriver, j'ai eu tout le temps pour m'y préparer. Nous n'avons pas notre place parmi les humains, nous aurions de toute manière dû partir. De mon côté, j'attendais ma majorité pour le faire, mais après avoir appris que tu étais également une créature de l'Ombre, je me suis décidé à partir avec toi. Je serais bien resté quelques mois de plus pour que tu perfectionnes encore un peu ta maîtrise de tes pouvoirs mais si tes semblables commencent à s'intéresser à toi, le mieux est de s'en aller immédiatement.
- Sans moi, tu serais déjà parti ?
- Oui, mais tu ne dois pas t'en vouloir pour ça : à l'échelle de notre vie, ça ne change rien. Et puis, Iris, tu es mon âme soeur, je ne peux regretter d'être resté pour toi.
Je hoche la tête, toujours perdue dans mes pensées qui me hantent depuis le début du voyage.
- Nous devions partir, je dis à voix haute mais surtout pour moi-même.
Leo acquiesce et pose ses mains sur mes hanches.
- Que faisons nous maintenant ? Où allons nous ? Je l'interroge
- Tu veux encore découvrir ce que tu es réellement ?
- Oui.
- Alors le mieux serait de trouver une ville de l'Ombre.
- Jamais entendu parler.
- Ce sont des villes uniquement peuplées de créatures de l'Ombre. Elles sont dissimulées aux yeux des humains grâce à quelques sorts très puissants. Une partie de nos semblables y vivent. Nous trouverons sûrement quelqu'un capable de nous aider à trouver les réponses à tes questions dans ce genre d'endroit.
- Qu'attendons nous dans ce cas ?
- J'aime ton enthousiasme. Tout d'abord, il nous faut trouver une créature de l'Ombre qui connait la région pour qu'elle nous indique la ville de l'Ombre la plus proche.
J'étends mes sens autour de moi. Je laisse mes instincts de vampire me guider jusqu'à trouver ce que je cherche : une présence surnaturelle.
- Trouvée, j'annonce.
Leo me regarde avec des yeux ébahis.
- Déjà ?
- Un kitsune, à quelques dizaines de kilomètres. Il ne nous a pas repéré mais ça risque d'arriver prochainement. Il a l'air assez puissant. Il est en train de se promener tranquillement au bord d'une rivière.
- Quelle précision. Tu es impressionnante : je ne peux en capter autant à distance.
Je lui offre un sourire un peu forcé. Je ne sais toujours pas quoi penser de mes capacités hors-normes.
Nous reprenons la route, droit vers celui qui deviendra bientôt notre guide.
Je ne suis pas fatiguée. J'ai peur. Ma vie est derrière moi. Les quelques semaines qui viennent de s'écouler n'était qu'un pont, une transition pour ce qui s'ouvre devant moi. Or, je ne sais pas ce qu'il se trouve devant moi.
La nuit est tombée. Le kitsune s'est déplacé, il a rejoint une auberge dans une petite ville humaine avoisinante. Leo et moi nous y dirigeons. Nous y serons bientôt.
Nous ne sommes pas pressés et marchons côte à côte sous notre forme humaine sur la route menant à notre destination.
Nous passons le panneau de la ville. Quelques minutes de marche supplémentaires nous permettent d'atteindre le bâtiment dans lequel se repose notre cible.
- On entre ou on le fait sortir ? Je demande.
- On entre. Nous allons tout de même lui demander un service. Autant avoir l'air... sympathiques ?
J'explose de rire.
- M'as-tu déjà vu être « sympathique » ? M'as-tu déjà vu gentille, agréable, avec quelqu'un ? Je te rappelle que je...
- En 6e : il y avait ce garçon qui était toujours seul. Un jour, on était en classe - tu étais déjà populaire à cet époque - et tu t'es assise à côté de lui. Parce qu'il n'avait personne, tu l'as intégré dans ton groupe VIP. En 4e : une 6e se faisait harceler par toute une bande de 3e, tu es intervenue. Tu les a engueulés, puis giflés. Tu étais seule face à tout ces gens, plus âgés et plus forts. Tu t'es dressée face à eux, seule, sans peur, pour elle. Ensuite tu as tendu la main à cette fille, tu as pris soin d'elle jusqu'à ce que tu sois sûre qu'elle aille bien. En seconde : on avait ce prof, là, le Dictateur qu'on l'appelait. Il terrorisait tout le monde et personne n'osait se plaindre. Tu l'as provoqué. Tu as pris je ne sais trop combien d'heures de colle, tout ça pour protester. Tu attirais son attention sur toi pour couvrir les autres. Tu as ruiné ses cours pour essayé de lui faire comprendre qu'il ne pouvait pas faire ça. Et cette année, alors que tu étais DÉJÀ une vampire : une nouvelle est arrivée. Tu es la seule à avoir compris qu'elle allait mal. Tu as découvert qu'elle se scarifiait et tu as réussi à la faire arrêter. Tu l'as intégrée à un autre groupe très agréable. Et tu as réussi tout ça, sans la rendre dépendante de toi. Je dois continuer ? Parce que j'en ai encore beaucoup des anecdotes comme ça : c'est la première chose qui m'a fait tombé amoureux de toi.
Je suis ébahie. Il m'observait à ce point ? Je...
- Je... Je...
- Arrête de te rabaisser. Tu te vois comme quelqu'un de mauvais : ce ne sont que des airs que tu te donnes. Tu es toujours la première à aider, à tendre la main à ceux qui en ont besoin.
Il est sévère avec moi. Son ton est sans appel. Il m'interdit de protester. Il m'impose ses paroles comme une vérité indéniable.
- Merci, je souffle.
Lui, il me voit différemment des autres. D'habitude, les gens se laissent avoir par les illusions que je créé. Leo a vu à travers. Il a toujours su qui j'étais...
- On y va ? Propose-t-il.
J'acquiesce.
Il entrelace nos mains et toque sur la vieille porte en bois de l'auberge.
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Moi, Ombre
ParanormalLe monde de l'Ombre. Toute une civilisation cachée sur la même planète que les humains. Les créatures surnaturelles que l'on croit imaginaires ont leur propre société. Un lieu où règne cruellement la loi du plus fort. Iris n'a que 17 ans. Elle vient...