Chapitre Sept

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Je regarde mon téléphone, frustrée. C'est Leo. Encore. Et je ne répondrai pas. Parce qu'il faut que je coupe les ponts avec lui.

C'est au moins la milliardième notification que je reçois à cause de lui. (J'exagère à peine.)

Maudite soit l'obstination des lycans !

Ma phrase n'a aucun sens : les lycans ne sont pas des créatures spécialement obstinées. Possessif, sans aucun doute. Impulsif, assurément. Mais pas forcément obstiné. Cependant, il faut bien que je rejette la faute sur quelque chose. Alors on va faire comme si ce que je disais était vrai.

Car ça fait une semaine. Une semaine que je l'ignore. Une semaine que je le fuis.

Maintes fois, il a essayé de me rattraper au détour d'un couloir, à la cantine ou encore à la sortie des cours. Je me suis toujours débrouillée pour l'esquiver. Mais son regard me brisait le cœur à chaque fois. Je l'ai blessé. À chaque fois.

ET FAIT CHIER !

En vérité, je suis terrorisée. Parce que sa douleur m'affecte. Parce que je culpabilise. Parce que je crois que je suis tombée amoureuse de lui.

Voilà. C'est dit.

Ces sentiments irrationnels qui me torturent, c'est de l'amour.

J'aimerais ne jamais être sortie cette nuit-là...


Soudain, ma vitre se brise. JE NE DÉCONNE PAS : MA VITRE VIENT D'EXPLOSER ! AHHHHH QUELQU'UN ENTRE !

Je me mets en position défensive, prête à affronter l'intrus grâce à mes nouvelles facultés. Mais c'est un loup, blanc, gigantesque, qui se tient en face de moi. Les symboles sur son visage me permettent de le reconnaître.

- Leo ?

Il reprend forme humaine au milieu de ma chambre et des tessons de verre. Quelques égratignures sont en train de guérir partout sur son corps et là, je réalise que - WAOW ! - il est torse-nu ! Et c'est qu'il est bien fait le lycan...

Il s'avance vers moi mi-menaçant, mi-désespéré. Je n'ai pas peur. Je suis juste choquée.

- J'EXIGE DES EXPLICATIONS ! MAINTENANT ! D'abord, tu découvres mon plus grand secret, ensuite, tu me révèles que tu es aussi une créature de l'Ombre ! On fait connaissance, tu me fais entrer dans ta sphère de privilégiés en me laissant te défier en public sans conséquences, tu me promets mille et un bonheur, on échange nos numéros puis... je redeviens invisible. Comme si tout ceci ne s'était jamais produit. Alors tu joues à quoi à la fin ? JE N'ÉTAIS QU'UNE DE TES DISTRACTIONS ROYALES ? COMME TOUS LES AUTRES ?!

Je secoue la tête de gauche à droite. Lentement. Totalement hébété.

- J'EN AI MARRE DE PASSER POUR UN CON ! TU SAIS CE QUE ÇA FAIT QUAND ON TE MONTRE À QUEL POINT TU POURRAIS ÊTRE HEUREUX AVANT DE TOUT ARRACHER BRUTALEMENT ? JUSTE POUR TE NARGUER ? J'EN AI MARRE ! J'AI TROP SOUFFERT. JE REFUSE DE SOUFFRIR ENCORE POUR UNE PETITE PRINCESSE DANS TON GENRE ! Je m'étais méfié, mais t'as réussi à me convaincre. Et après tu m'as fait passer pour un con.

Je... ne sais pas quoi dire. Je suis un peu perdue à vrai dire. J'ai beaucoup de choses à analyser : premièrement le corps magnifique devant moi, tout en muscles, sculpté comme une statue grec. Puis deuxièmement le fait que ce corps d'athlète vient de défoncer ma fenêtre. Après, troisièmement, le fait que ce corps à une tête doté d'une bouche et qu'il est en train de me gueuler dessus comme un taré. (Heureusement que mes parents sont sortis ce soir.) Et puis, loin derrière, en quatrième position, je réalise les reproches qu'il m'adresse.

- Je... Tu es beau ! Par contre, tu viens d'exploser ma fenêtre. T'as de la chance que mes parents soit absents parce que tu viens de réduire en cendres le principe de discrétion. Et ensuite...

Mon discours le déconcerte. Il ne s'attendait probablement pas à ça. Je sais tourner toutes les situations à mon avantage et "prendre le contrôle d'un dialogue" figure dans mes compétences. C'est devenu un réflexe pour moi de reprendre la main dans ce genre de cas.

Son expression faciale est hilarante. Lui qui était dans une rage noire il y a quelques secondes à peine est maintenant abasourdi. Je reviens enfin au véritable sujet avec un calme limpide. Ce que je viens de faire, c'est essentiel si l'on veut pouvoir régner. Être une bonne oratrice donne un grand pouvoir. Pas besoin de force physique : je parviens, avec mes simples mots, à faire tourner quiconque en bourrique.

- Je suis désolée. Je... J'ai paniqué. C'est nouveau pour moi tout ça. Je ne suis pas encore habituée à être une... une vampire. Alors rencontrer une autre créature de l'Ombre, ça m'a un peu chamboulée. Je suis désolée de t'avoir blessé. Je ne le voulais pas. Tu... enfin, si tu en as toujours envie, tu peux revenir auprès de moi au lycée. Je te demande pardon.

Je mens. À moitié. Je veux qu'il soit à nouveau à mes côtés, mais je refuse de lui révéler mes sentiments. Et encore plus de lui avouer que c'est pour ceci que je l'ai fuis.

Comme vous l'avez vu, je me suis excusée. C'est souvent utile. Contrairement aux clichés, les gens comme moi s'excusent. Ce n'est bien entendu que rarement sincère, mais c'est très pratique. Stratégiquement, c'est souvent la meilleure solution. Des personnes me servant de pantins, aveuglées par quelques excuses, me permettront d'avancer plus loin qu'une quelconque fierté personnelle illusoire.

Sauf que cette fois-ci, je le pense vraiment. Ce sont de véritables excuses. Même si je ne lui ai pas donné la vraie raison, c'est sans aucun doute le pire dans cette histoire.

Je le vois hésiter. Puis - ô surprise ! - il me prend dans ses bras. Il me sert contre lui et je ne peux que répondre à son étreinte. Et que je suis bien, là, dans ses bras.

- Je sais que c'est dur, murmure-t-il. Pardonne-moi, je n'aurai pas dû te crier dessus. Les premiers mois sont toujours compliqués. Mais tu sais : tu peux m'en parler. Je ne te jugerai pas, je sais ce que c'est, moi.

J'acquiesce. Incapable de prononcer un seul mot. J'enfouis mon visage dans son cou, et me blottie contre lui. Il m'a manqué. D'une main, il entoure fermement ma taille et de l'autre, il joue doucement avec mes mèches.

Je sais que je suis pardonnée. Je ne le mérite pas, mais je suis pardonnée. Je ne manipule pas Leo (contrairement à la majorité de mon entourage) mais j'ai peur de lui révéler ce que je ressens. En opposition avec moi, c'est quelqu'un de bien. À sa place, je ne voudrais pas de la reine du lycée. À sa place, je ne voudrais pas de moi. Il mérite mieux. Pourtant, l'espoir, étrange moteur de l'humanité, m'envahit et je me surprends à me promettre de faire des efforts. Pour lui. Avec lui.

Moi, OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant