Chapitre premier

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Je n'avais fait que rêvasser de toute la matinée. Qu'elles étaient belles, les journées de grève où la moitié de nos heures de cours hebdomadaires sautaient en raison d'absences de professeurs ! Qu'elles étaient belles, les grâces matinées qui en étaient la conséquence ; qu'ils étaient beaux, les après-midis légers avec peu de devoirs et une ambiance détendue dans la classe ! Je sortis de chez moi vers dix heures trente, respirai profondément l'agréable air frais de mi-septembre, et me rendis de bon pas vers l'arrêt de bus. Nous n'avions qu'une heure de la journée, et il me semble que mes amis l'avaient volontairement oubliée.

Nous étions peut-être six ou sept au total dans le bus – chauffeur inclus, et cela faisait du bien. Je pus donc sortir un livre de poésie et lire quelques vers sans me soucier du bruit environnant. Il n'empêche qu'un son répété, rythmé mais non mélodique attira vite mon attention. Je regardai autour de moi et compris bientôt sa provenance, qui n'était autre qu'une lycéenne de mon âge à la peau hâlée, coiffée d'un chignon brun, pianotant sur son cartable, une partition devant elle. Je devinai qu'elle était d'un niveau assez avancé par l'enchaînement fluide des notes et des changements de position pratiques, logiques et réfléchis. Cela me fit sourire. A l'arrêt suivant, je me déplaçai et me rapprochai d'elle pour engager la conversation. C'est un fait approuvé de tous les musiciens (sauf certains introvertis, mais les faits se compliquent toujours lorsqu'ils impliquent un introverti, donc prenons pour cette statistique comme norme que tous les musiciens sont extravertis – ce qui est bien loin d'être le cas, je vous l'accorde) qu'un adolescent musicien d'un niveau respectable ne peut se permettre de voir un autre adolescent musicien d'un niveau respectable dans un milieu non musical sans se préoccuper de la rareté de l'occasion – c'est-à-dire sans engager la conversation.

- Oh, une chanson sans paroles de Mendelssohn ? remarquai-je en lisant le titre de sa partition. J'en connais une au violoncelle.

- Ah oui ! La numéro 109 ?

- Absolument !

- Je l'aime beaucoup aussi.

Et souvent, les discussions entre eux ressemblent à ça.

Je vous passe notre entière conversation – qui dura d'ailleurs un bon moment – car je risquerais fort de vous ennuyer. Je suppose que vous êtes ici plus pour l'intrigue que pour m'entendre papoter au sujet de la musique classique avec une personne que j'ai rencontré il n'y a pas plus de cinq minutes ?

Car, oui. Je suis une personne sociable, qui n'hésite pas à aller voir les gens. En d'autres mots, je suis un extraverti. Je n'entrerai pas dans des analyses complexes de ma personnalité, mais si je devais me résumer en cinq mots quelconques, je dirais : musique – poésie – extraversion – caramel au beurre salé – procrastination. Ce sont pour l'instant les principaux intérêts dans ma vie. Pour l'instant, car j'espère que les cases « caramel au beurre salé » et « procrastination » seront un jour remplies par quelque chose de plus honorable.

Je discutai donc avec elle jusqu'à la fin du trajet. Nous descendîmes au même arrêt, bien que nous ne fussions pas dans le même établissement (car de toute façon nos deux lycées étaient voisins), et nos chemins ne se séparèrent qu'au dernier moment.

- On risque de se revoir, dit-elle. Bon, à plus tard ! Je crois que ça a sonné, je devrais me dépêcher un peu.

- Ce serait bête que tu arrives en retard ! Allez, cours !

Elle me fit un signe d'approbation, puis courut vers son lycée, comme je m'avançais lentement vers le mien.

Et c'est ainsi que je fis la connaissance de Lise. Jeune fille vive et active, amoureuse des plaisanteries, l'ennui la fuyait comme si elle fût la peste – et il faisait bien, car son rire était plus contagieux que cette dernière. Il nous arrivait de parler pendant des heures, si bien que nous commençâmes bientôt à nous voir en dehors du temps scolaire. Nous nous étions même plusieurs fois retrouvés chez moi pour faire de la musique ensemble.

Le Chant du CygneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant