Chapitre treizième

3 2 0
                                    

Je me levai de bon matin le jour suivant, et rejoignis Lise devant chez elle. Nous ne tenions pas en place, plus qu'impatients de découvrir ce que notre amie avait pensé de l'œuvre que nous avions pris tant de temps et tant de soin à préparer pour elle. J'ai tellement hâte de la voir ! J'attends depuis si longtemps de savoir ce qu'elle pense de notre travail, si on a bien interprété ses œuvres... Nous courûmes joyeusement jusqu'aux portes de l'hôpital, entrâmes précipitamment et gravîmes avec enthousiasme les marches de l'escalier. Je fronçai les sourcils en voyant qu'une certaine foule était rassemblée à l'étage. Eh bien ! Il y a beaucoup de visites aujourd'hui... !

Je compris vite qu'il ne s'agissait pas d'une augmentation inexpliquée du nombre de visites. En effet, les personnes présentes, dont le visage était véritablement décomposé, attendaient devant une chambre que nous ne connaissions que trop bien. Notre enthousiasme retomba comme une avalanche.

- Impossible... murmura Lise derrière moi.

Je ne répondis pas, pris d'une inquiétude immensurable. Nous nous approchâmes. Nous parvînmes à nous faufiler à l'intérieur de la pièce, pour voir ceux qui étaient sans aucun doute la famille de notre amie rassemblés autour d'elle. Lise me poussa doucement pour se diriger vers eux. Je la suivis.

- Ah, bonjour, Lise... fit, entre deux sanglots, l'un d'entre eux, qui devait être son père.

Il me salua d'un signe de tête.

- Elle est... ? articula-t-elle, horrifiée.

Il acquiesça gravement. Nous éclatâmes tous deux en sanglots. Je ne restai pas plus d'une minute, et rentrai chez moi en courant. Je fus si rapidement en haut des escaliers que mes parents et ma sœur qui étaient dans la cuisine n'eurent même pas le temps de voir que mon visage était noyé de larmes. Je m'enfermai dans ma chambre, les laissant tous les trois dans l'incompréhension la plus totale.

Pourquoi ?! Pourquoi si tôt ?! N'avait-elle pas dit qu'il lui restait peut-être un mois ?! Pourquoi en ce jour, celui que j'attendais tant, a-t-elle dû partir alors que j'y étais si peu préparé ?!

Lorsque ma mère vint me voir pour connaître la raison d'un tel empressement à m'emprisonner, elle afficha une mine bouleversée. Elle n'était assurément pas habituée à voir son fils dans un tel état, allongé sur son lit, face au mur, pleurant et sanglotant plus fort que jamais. Comme ses yeux tristement intrigués me priaient sans aucun doute une réponse, je tentai de tout lui expliquer, sans lever le regard, et d'une voix sans cesse interrompue, comme si mon cœur explosait à chaque seconde, ses morceaux s'échappant par mes yeux.

Je ne me levai pas le lendemain, et me redressai à peine pour observer le déjeuner que ma mère m'avait apporté. Je n'étais pas allé au lycée, et je n'en avais pas l'intention. Mes quelques prochains jours ne s'annonçaient pas joyeux, et il n'était pas question de les vivre autre part que dans ma chambre. Je ne voulais pas que le regard des autres draine le peu d'énergie qu'il me restait.

J'essayai, dans la journée, de sortir mon violoncelle pour me remonter le moral. Mais un flot de déchirante nostalgie me submergea dès qu'il fut entre mes genoux, et il fut impossible pour mon archet de rencontrer les cordes ; il ressautait aussitôt au rythme d'un sanglot, ou laissait échapper un son plaintif et inaudible. Je tentai, plus tard encore, de descendre à la cuisine, alors que personne ne s'y trouvait, pour ouvrir le placard et y trouver le réconfort. Mais ce cher caramel au beurre salé avait cédé sa place dans mon cœur, et n'était à présent plus suffisant pour combler le gouffre qui s'y était formé en une fraction de seconde. J'avais perdu trop, en trop peu de temps, et la douleur resterait pour un long moment.

Trois jours passés dans la solitude me permirent d'apaiser quelque peu ma peine, et je retournai donc au lycée le quatrième. Je ne parlai presque pas de toute la journée et restai constammant seul. Quelques amis, à la vue singulière d'un Elio seul (quelque chose qu'ils n'avaient peut-être jamais vu auparavant), vinrent s'asseoir silencieusement à mes côtés pour me tenir compagnie. Les pauvres avaient dû bien s'ennuyer.

Le Chant du CygneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant