Tout n'était que silence et obscurité en cet après-midi pluvieux. Je lisais, sûrement calmement en apparence, mais mon esprit était occupé. A vrai dire, il l'avait été pendant les deux dernières semaines ; deux semaines durant lesquelles je n'avais pas obtenu le moindre signe d'Elio, et pendant lesquelles je n'avais cessé de m'imaginer d'innombrables scénarii. Il me semblait presque évident qu'il m'en voulait de lui avoir caché des choses d'une telle importance, et je le comprenais. Cela m'attristait, mais je suppose que j'aurais réagi de la même manière à sa place. Aussi, peut-être avait-il besoin de temps pour réfléchir à ce qu'il venait d'apprendre, pour prendre un peu de recul. C'était tout aussi compréhensible. Au fond de moi, j'étais persuadée que son absence n'était que temporaire et qu'il finirait par revenir. Il n'empêche que j'étais inquiète, et que je jugeais qu'il était normal de l'être. Si ça se trouve, tu te fais du tort pour rien. Il n'a sûrement pas le temps, à cause de ses cours ou autre. Il avait peut-être un empêchement.
Deux semaines sans le voir... C'est la première fois que je suis séparée de lui aussi longtemps, depuis que je le connais... Je n'aurais peut-être pas dû le lui dire. Je corrigeai vite ma pensée, réalisant que si je ne le lui avais pas dit, il serait encore plus bouleversé en apprenant ma mort. En fin de compte, j'aurais peut-être dû le lui dire dès notre rencontre. Me connaissant moins, il l'aurait mieux toléré.
De toute façon, c'est un peu la faute de Lise, aussi. Je lui avais pourtant demandé à plusieurs reprises de ne pas me présenter de nouvelles personnes. D'accord, elle voulait que j'aie un interprète, mais je savais que ça ne ferait que briser le moral d'une personne de plus. Là encore, je corrigeai ma pensée, car j'étais on ne peut plus contente d'avoir rencontré Elio. Certes, cela me brisait le cœur de devoir me séparer de lui (et de savoir qu'il serait par conséquent séparé de moi, même si je ne savais pas exactement à quel point il tenait à moi ; dans tous les cas, qu'on aime une personne ou non, on est toujours triste d'entendre qu'elle est morte), mais rien ne pouvait me faire plus plaisir que de l'entendre me jouer du violoncelle lorsqu'il venait. J'étais persuadée que s'il ne venait pas chaque semaine pour me tenir compagnie quand Lise ne pouvait pas, mon humeur et mon moral se retrouveraient dans un bien pire état. Être dans un sale état seule est un beau milliard de fois pire que d'être dans un sale état avec de la compagnie. Retenez-le.
Je soupirai, ne voulant plus y penser. Le destin choisirait l'option qu'il préférait, et l'histoire continuerait selon ses décisions. Il ne servait à rien de s'attarder éternellement sur une question qui serait à tous les coups répondue par le temps. Tout de même, si le destin pouvait répondre à cette question avant celle concernant le temps qu'il me reste sur Terre, je lui en serais fort reconnaissante.
Je pense que c'est pendant cette longue période de deux semaines où je n'avais pas vu mon ami que je m'étais rendue compte à quel point ma vie était vide lorsqu'il n'était pas là. Lise et lui étaient comme de petites éclaircies, jamais longues, mais qui illuminaient parfois mon esprit orageux, comme deux petites étoiles qui brillaient dans un ciel nocturne, deux minuscules points blancs dans une ombre massive ; comme quelques courtes mesures en majeur dans un requiem.
Je fermai mes yeux, et sentis une petite flamme au fond de ma poitrine en pensant à eux. Je me remémorai toutes leurs visites avec délectation, et passai de nombreuses minutes à me remettre en mémoire le jour où Lise nous avait appris à valser. Je ris de nouveau de ma chute spectaculaire, de nos pas confus et gênés quand Elio et moi avions dû danser tous les deux, mais aussi de l'intense satisfaction qui avait été la nôtre lorsque nous avions rencontré une réussite. J'espère que j'aurai l'occasion de danser à nouveau avec eux... je n'y crois pas beaucoup, mais il n'y a pas de loi contre les rêves !
Ce souvenir ayant éveillé en moi une envie de valser, justement, je décidai d'allumer la musique même si j'étais seule, et de me chercher un partenaire de danse dans la pièce. Je songeai tout d'abord à Siegfried, mais il était si petit qu'il ne touchait pas le sol. J'aurais bien des difficultés pour le faire me suivre ! J'ouvris les sacs et placards, sans succès. Mais toujours pas découragée, je continuai mes recherches et finis par trouver le partenaire idéal : au fond d'un placard mural que je n'avais jamais remarqué se trouvait un balai en plastique, faisant plus ou moins ma taille, bien qu'il fût assez frêle et un peu usé. Au moins, ça me permettra de bouger ! Je reste sur (voire dans) mon lit toute la journée, il faut que j'aie un peu d'activité aussi.
VOUS LISEZ
Le Chant du Cygne
Short Story"L'avenir. L'avenir, c'est ce pour quoi l'enfant semble devoir vivre. Ce qu'il commence n'est commencé que pour être perfectionné dans le futur ; les études, l'acquisition de culture, les activités diverses en dehors de l'espace scolaire, tout n'ex...