Plusieurs années avaient passé. Lise et moi étions restés en contact, et nous avions continué à nous voir, à jouer de la musique ensemble. Nous pensions régulièrement à Harmonie, nous l'imaginions à nos côtés, à nous applaudir avec enthousiasme lorsqu'on jouait ses œuvres. Nous l'imaginions marchant avec nous dans le parc, faisant virevolter ses jupons blancs à l'image des cygnes auxquels elle ressemblait tant, comme ce jour-là que je n'oublierais jamais. Nous l'imaginions glousser gentiment lorsque nous faisions des fausses notes, ou serrer son ours polaire contre elle lorsque notre musique la faisait pleurer.
Il était encore douloureux de se dire qu'elle n'était plus là. Je ne l'avais connue que quelques semaines, mais elles m'avaient tant marqué que j'avais eu l'impression de la connaître depuis toujours. En réalité, j'avais du mal à me rappeler l'époque où je ne l'avais pas encore rencontrée.
Mais d'un autre côté, c'était comme si elle était encore en vie. Son œuvre, où ne figurait aucun morceau qui n'eût été achevé, se trouvait encore entre nos mains. En jouant ses morceaux gais nous recréions son rire, en jouant ses morceaux mélancoliques nous la revoyions soupirer le regard vers la fenêtre. En jouant ses morceaux doux je me rappelais nos brèves étreintes, en jouant ses morceaux graves, nos quelques disputes. En jouant ses sérénades, je me rappelais à quel point je l'adorais, et en jouant ses marches funèbres je la revoyais, pleurant à chaudes larmes entre mes bras.
Je comprenais, maintenant, ce qu'elle voulait dire lorsqu'elle m'assurait que jouer, voir, lire l'œuvre d'un artiste était comme jouer, voir, lire l'artiste lui-même. Lorsque mon archet frottait les cordes, je ne faisais pas qu'interpréter ses pièces. Je faisais revivre mon amie, et je pouvais la sentir me regarder, me sourire.
Pour moi, Harmonie n'était pas morte. Et dans un sens, j'avais raison. Elle existait encore, à travers les souvenirs que j'avais d'elle, et bien entendu à travers ses morceaux. Peut-être même qu'elle mourra après moi ? Je n'en serais pas étonné. A part bien entendu si moi aussi je laisse quelque chose après ma mort !
Car après tout, un artiste meurt-il vraiment ?
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Le Chant du Cygne
Short Story"L'avenir. L'avenir, c'est ce pour quoi l'enfant semble devoir vivre. Ce qu'il commence n'est commencé que pour être perfectionné dans le futur ; les études, l'acquisition de culture, les activités diverses en dehors de l'espace scolaire, tout n'ex...