Chapitre sixième

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Samedi matin, je fus étonnée de ne voir que Lise à ma porte. Je la fis entrer, puis asseoir, et lui demandai où était Elio. Elle me répondit qu'elle n'en avait aucune idée, et qu'il était injoignable. « Il a peut-être un empêchement », avait-elle suggéré. Pour ma part, je commençais à craindre qu'il eût mal pris ce que je lui avais avoué. Peut-être qu'il a perdu confiance en moi, comme je lui avais caché des choses tout ce temps... Il doit m'en vouloir... Et il aurait raison, j'ai eu tort de ne pas lui dire et de lui faire croire que tout allait bien... !

Après le départ de ma meilleure amie, je m'allongeai sur mon lit, et pleurai. J'avais peut-être à nouveau perdu un ami, alors que je m'en faisais si peu. Et tout ça parce que je n'étais pas capable de dire les choses franchement. Je laissai mes larmes ruisseler sur mes joues pendant environ un quart d'heure. Je me demande comment mes réserves d'eau peuvent continuer à produire des larmes en aussi grande quantité alors que je les exploite tous les jours depuis plus d'un mois...

Je séchai mes larmes du revers de la main, comme pleurer n'était pas une activité constructive – et donc pas à recommander lorsqu'on n'a pas toute une vie devant soi pour accomplir des choses. Je préférai donc me calmer, et mettre mes lunettes pour aller lire un peu. Je me levai, ayant des fourmis dans les pieds, et marchai un peu en rond dans la pièce. Je pris de ma petite étagère les Méditations Poétiques de Lamartine, et en lus les premiers poèmes.

Ils représentaient une grande source d'inspiration pour moi, tout comme la plupart des poèmes romantiques. Traitant à la fois des émotions profondes, l'état d'âme de l'artiste, mais aussi des rêves et des contemplations du monde, l'évasion et l'exotisme, le romantisme est un courant qui, je trouve, me ressemble. Je n'ai jamais vraiment voyagé, et tout ce que je fais est imaginer des paysages, et imaginer à quoi pourraient bien ressembler les autres visages du monde dans lequel je vis.

Alors que je lisais, je repensai à la dernière visite de mon grand frère. « Eh bien renonce à jamais à l'espoir d'avoir une vie remplie, ma p'tite déesse. Je ne veux pas te décourager mais tes envies sont contradictoires. » Cette phrase, la dernière qu'il avait prononcée avant de partir, m'avait beaucoup marquée. Et, maintenant que j'y réfléchissais, je trouvais de plus en plus de vrai dans ses propos. Peut-être qu'il faut quand même que j'aille prendre l'air...

Je me levai, fermai mon livre, et, déterminée, je pris mes partitions inachevées pour descendre avec. Je sortis dans le placard extérieur, et trouvai un banc où m'installer. A ma droite était assise une femme qui surveillait ses deux enfants, qui jouaient aux billes par terre. L'un d'entre eux, le plus jeune, était bien plus pâle que son frère, et j'en déduisis à cela qu'il était malade. Cela me faisait un peu mal au cœur de voir qu'il semblait très fatigué, mais savoir qu'il se rétablirait de sa petite grippe me rassurait. Plus tard, il contribuerait à la société, aurait un métier, peut-être une famille, et il vivrait sûrement longtemps.

Je reposai mon regard sur ma musique et continuai à enrichir mes portées. Le silence environnant, le chant des quelques oiseaux présents, le bruit des billes qui s'entrechoquaient sur le sol, formaient comme un orchestre naturel et agréable, qui stimulait mon imagination. Je devrais venir ici plus souvent, c'est vrai...

- C'est la première fois que je te vois ici, commenta la mère des deux enfants. Pourtant on vient tous les jours. Tu es là depuis peu ?

- Oh, non. Ça va faire un mois que je suis là. Je ne prends juste pas beaucoup l'air.

- Un mois ? C'est long. Tu as hâte de rentrer ?

Je n'osai pas lui dire que je ne rentrerais pas, et me contentai d'acquiescer.

Le Chant du CygneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant