Ce matin-là, comme je n'avais pas l'inspiration pour composer, j'avais décidé de regarder le seul DVD que j'avais emmené : une interprétation du Lac des Cygnes sur la scène du théâtre Bolchoï. Je la connaissais par cœur, évidemment, comme c'était mon ballet favori, mais le revoir encore m'enthousiasmait autant que les fois précédentes. C'était ma mère qui me l'avait ramené, lorsqu'elle était partie voir sa famille en Russie, un hiver où je devais avoir trois ou quatre ans.
J'ai toujours beaucoup aimé Odette. Quand j'étais petite, je trouvais simplement la ballerine jolie, et comme c'était une princesse je l'appréciais encore plus. Mais revoir ce ballet une fois de plus, dans les conditions actuelles, avait grandement éveillé ma compassion pour cette héroïne. Peut-être car cela m'avait fait réaliser que nous avions des similarités.
Dans un sens, moi aussi j'avais reçu une malédiction que je ne méritais pas, et qui rongeait ma vie progressivement. Une malédiction à laquelle je ne pourrais pas échapper. La nature impitoyable, à l'image du sorcier Rothbart, avait décidé de s'en prendre à moi sans raison apparente. Et, comme la princesse Odette, j'étais contrainte d'oublier ma belle vie d'avant et de rester dans un environnement restreint, l'environnement dans lequel j'étais vouée à finir mes jours.
La fin du Lac des Cygnes dépend des interprétations. Parfois, l'amour véritable entre Siegfried (le prince, pas mon ours) et Odette l'emporte sur la malédiction, Odette se retransforme en princesse, et ils vivent heureux jusqu'à la fin des temps. Ça, c'est l'interprétation des amateurs de fins heureuses. Mais la plupart du temps, Siegfried (même remarque) tue accidentellement Odette en acceptant d'épouser Odile, ou alors, la princesse Cygne, se sentant trahie, va se suicider dans le lac.
N'étant pas très attirée par les fins heureuses survenant grâce au pouvoir de l'amour, je tends à préférer les deux dernières fins énoncées. Autant dire que, pour sûrement de multiples raisons, ce sont celles qui me correspondent le mieux.
J'insérai le DVD dans mon ordinateur, allumai ce dernier, et me réfugiai sous ma couette. Je pris Siegfried (mon ours, cette fois) dans mes bras, et démarrai le film. Cela me permit de m'occuper pendant deux petites heures. Je me délectai de cette musique splendide et des mouvements grâcieux des danseurs, aussi émerveillée que toutes les fois où je l'avais regardé. Siegfried, bien sage, recroquevillé dans mes bras, semblait observer son homonyme avec considération.
L'après-midi, encore, Lise vint me rendre visite seule. D'ailleurs, dès qu'elle entra, après l'avoir saluée, je n'attendis pas longtemps pour lui demander si mon ami reviendrait un jour. Elle éclata de rire, et m'annonça simplement qu'il avait cours jusqu'à dix-sept heures aujourd'hui, comme toute la semaine, et qu'il était donc probable qu'il ne puisse pas avoir de temps libre avant ce week-end.
- Et samedi et dimanche derniers, il ne pouvait pas non plus ?
- Non, Il m'a dit que son prof d'anglais lui avait fait faire des heures supplémentaires le samedi jusqu'à quatorze heures, et tu sais qu'il a cours de violoncelle à quinze heures trente, donc il n'a vraiment pas eu une seconde pour lui ce jour-là. Et le dimanche sa famille et lui étaient invités chez des amis.
- Ouf ! J'avais peur qu'il soit fâché contre moi... !
- Oh, crois-moi, pas du tout !
- Tu me rassures... !
- D'ailleurs, parlant d'amis ! On t'a trouvé une nouvelle interprète ! C'est une très bonne violoniste ! Mais, promis, on ne te la présentera pas. C'est juste que l'occasion s'est offerte à nous, et que cela nous permet maintenant de jouer tes trios ! Si bien sûr tu acceptes de nous les prêter...
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Le Chant du Cygne
Short Story"L'avenir. L'avenir, c'est ce pour quoi l'enfant semble devoir vivre. Ce qu'il commence n'est commencé que pour être perfectionné dans le futur ; les études, l'acquisition de culture, les activités diverses en dehors de l'espace scolaire, tout n'ex...