Chapitre troisième

8 3 0
                                    

La mine du crayon que je tenais dans ma main gauche (qui avait passé les cinquante dernières minutes à dessiner des petites clefs de sol sur mon cahier) craqua lorsque je sursautai violemment, surpris par la sonnerie qui annonçait la fin de l'heure du cours d'anglais, le dernier de la journée. Je râlai, retaillai mon crayon et le rangeai dans ma trousse, puis époussetai mon cahier. Ma main fut bientôt recouverte de poussière grisâtre (car oui, les mines de crayon à papier font de sacrées taches noires sur les doigts), et mon pull des résidus de gomme qui étaient tombés dessus. Je soupirai, puis rangeai mon cahier en vitesse pour courir rejoindre mes amis dans le couloir.

- C'était fatiguant, soupira l'un d'entre eux.

- Je te le fais pas dire, approuvai-je. S'il y a plus soporifique que ce cours, qu'on me montre. Honnêtement, on devrait enregistrer ce prof et le faire écouter aux insomniaques. Bien plus efficace que leurs somnifères peu recommandables pour la santé.

Ils pouffèrent, puis commencèrent à parler de jeux vidéos et de séries télé, m'excluant ainsi allègrement – bien que sûrement involontairement – de toute forme de conversation en leur compagnie. Je les écoutai en desendant les escaliers, puis tombai sur une autre connaissance une fois en bas, avec qui je marchai jusqu'à la sortie du lycée. Et, une fois dehors, elle prit un chemin différent du mien pour rentrer chez elle, je retournai donc vers ma précédente compagnie.

C'est le quotidien, pour moi, de jongler sans cesse entre mes différents camarades. Ça ne me dérange pas, au contraire. J'ai parfois envie de rire et parler du lycée ou de faits divers avec mes camarades de classe, comme parfois je me penche vers des sujets plus intellectuels et je vais voir certaines personnes qui ont des connaissances à partager ; parfois je décide simplement d'aller discuter avec les professeurs à la fin du cours pour qu'ils me parlent de leur matière et leurs études, je vais parfois voir d'autres camarades que je connais bien pour le simple plaisir de leur présence... Mais au collège, bien sûr, aucun moyen de parler musique classique avec qui que ce soit. Les gens qui ont appris à jouer le début de Für Elise à la main droite sont facilement trouvables ; en revanche ceux qui connaissent le nom du morceau ainsi que son compositeur sont plus rares. Et bien sûr, ceux qui ont un niveau musical respectable sont littéralement introuvables, à mon grand désarroi. C'est sûrement pour cette raison aussi que je me plais autant quand je suis avec Lise et Harmonie : ce sont les deux seules personnes à qui je peux parler de musique classique en étant sûr d'être écouté, compris, et de recevoir une réponse instructive. Comme je l'ai mentionné plus tôt, les chances pour qu'un adolescent musicien d'un niveau respectable tombe sur un autre adolescent musicien d'un niveau respectable dans un milieu non musical sont infimes. Voire presque inexistantes, dans la société d'aujourd'hui.

Evidemment, comme j'essaie de raconter des choses un minimum intéressantes pour mes interlocuteurs autour de moi, je parle très rarement de mes intérêts à mes amis, ou même à ma famille. Ma petite sœur n'étant âgée que de douze ans, elle est évidemment sous la sévère influence de ses amies, qui lui font écouter des genres de musique que je désapprouve fortement. Mon père n'écoute pas de musique, ma mère préfère la chanson populaire, et c'est ainsi que je me retrouve à essayer d'affirmer mes goûts, tout seul, devant un dense entourage ne trouvant aucun attrait dans ce que j'aime.

C'est le bruit d'un klaxon qui me fit sortir de mes pensées. J'avais pendant un instant oublié que mon établissement scolaire se trouvait dans une rue où un grand nombre de véhicules circulaient à toute heure de la journée, et aussi accessoirement qu'il faisait nuit et que ma vision en était par conséquent bien altérée. Double raison de faire attention où je mettais les pieds – ou plutôt les yeux.

- Ce serait bête que tu te fasses écraser, Elio ! fit l'un de mes amis en riant.

- Effectivement...

Le Chant du CygneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant