Chapitre 24 : Lurcan

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Les rideaux de velours, à demi tirés, plongeaient la pièce dans une pénombre étouffante. La nièce du seigneur, alitée, devait avoir une quarantaine d'année. Le regard de lassitude qu'elle lança aux nouveaux arrivants lui donnait pourtant l'air d'une grand-mère mourante. Wulfried nota en silence les traits tirés, la peau translucide qui laissait paraître les os saillants, et les réactions éteintes engluées dans une apathie maladive.

Marhra exigeait déjà un endroit où s'installer et la domestique qui avait suivi les guérisseurs s'empressa d'approcher de la couche de sa maîtresse un guéridon et un petit fauteuil capitonné. Puis, laissant la guérisseuse agir, la servante recula poliment.

Iscely en profita pour lui poser quelques questions. Le jeune homme ne pouvait que noter le choix judicieux de ces dernières. L'apprentie était de toute évidence capable de soigner, mais aussi de poser un diagnostic par elle-même. Ils apprirent ainsi depuis combien de temps Brenhild refusait de s'alimenter, la dernière fois qu'elle avait quitté son lit, les remèdes déjà tentés par les autres guérisseurs et leurs effets plus ou moins marqués.

Wulfried allait demander à Marhra la permission d'examiner la patiente, lorsqu'une remarque de la domestique l'interpella :

— Lurcan n'est pas là ?

Le visage d'Iscely se décomposa tandis que ses joues viraient brièvement au bleu nuit :

— Non... Il... Il a cessé de travailler avec nous.

Wulfried ignorait qui était ce Lurcan, mais son évocation avait mis la jeune fille dans tous ses états. Iscely laissa la domestique se retirer et s'approcha de Marhra pour balbutier :

— Mère-Grand... Je voudrais prendre un peu l'air...

La guérisseuse ne lui accorda pas un regard, trop occupée à manipuler son jeu de lunes, et la congédia d'un geste. Sans attendre une réponse plus complète, l'apprentie se précipita dehors.

Comme Wulfried se doutait que Marhra ne daignerait pas lui expliquer la raison de ce départ brutal, il décida de suivre la jeune fille sans demander la permission. Quelque chose lui disait que ce Lurcan avait jadis pris la place qu'il occupait et que, étrangement, l'ancien apprenti n'était plus de ce monde. La vieille patiente aigrie qu'il avait visitée avec Iscely, le lendemain de son arrivée au donjon, n'avait-elle pas utilisé les termes "encore un aut' gars, maintenant" ? Combien avaient-ils été à le précéder ? Devait-il en conclure qu'ils étaient tous morts ? Et, si c'était le cas... de quoi, au juste ?

Wulfried se morigéna : il laissait son imagination s'emballer. Il fallait qu'il se maîtrise un peu et pose les bonnes questions pour en savoir plus.

Le guérisseur avait craint un instant de devoir chercher Iscely dans tout le bâtiment mais il lui suffit de remonter le couloir pour ressortir du château. Il trouva la jeune fille assise seule, près de la fontaine à l'eau croupie. Le regard dans le vide, elle jouait avec une herbe folle arrachée à ses pieds, la trempait dans l'eau pour dessiner des auréoles troubles.

— Marhra voulait que je te dise que tu ne dois pas trop t'éloigner, mentit Wulfried en s'asseyant près d'elle d'un air dégagé.

La mousse humide qui ornait la margelle donnait une sensation de froid désagréable, mais il l'ignora, d'autant qu'Iscely se mettait à rire :

— Tu mens décidément très mal ! Jamais Mère-Grand se préoccuperait de ça !

Elle avait retrouvé sa bonne humeur, comme toujours, et Wulfried pensa presque avoir rêvé en la croyant affligée. S'il se demanda comment aborder la question de l'ancien apprenti, la jeune fille lui facilita la tâche.

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