Chapitre 21 : couleur grenat

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Wulfried s'habituait aux sensations perturbantes, dérangeantes, de l'esprit de Marhra s'immisçant dans le sien. Lorsque les Fils des rats apparurent devant lui, le jeune homme ne recula pas et prit le temps de réguler sa respiration. Patienter. Ne pas se précipiter. 

Par un effort de volonté, il parvint à contourner les entrelacements mouvants. Les six Fils luisaient de peur. Quelque part, au plus profond du néant, la conscience de Wulfried se surprit d'avoir deviné, ou plutôt ressenti, cette émotion étrangère.

- C'est bien, l'encouragea Marhra doucement. Maintenant, approche-toi encore.

Le Fil de la vieille femme collait à celui du guérisseur, le soutenait dans son évolution. Wulfried prit appui dessus pour effleurer les esprits des animaux qui se recroquevillèrent à son contact.

- Recule, lui intima Marhra. Tu es trop rapide et tu vas les faire souffrir inutilement. 

Avec difficulté, Wulfried obéit. La force mentale demandée pour suivre les instructions et ne pas se laisser happer par le néant qui l'entourait, commençait à l'étourdir. La respiration du guérisseur se saccadait malgré ses efforts pour garder la maîtrise de lui-même.

- Recommence, mais ne les touche pas. Suis-moi, nous allons les contourner.

Le jeune homme tendit son esprit, haletant. Ses muscles se contractèrent tandis que la vieille femme le guidait avec précaution. 

Des Fils gris luisants, évoluant souplement... Des arabesques agiles... La peur et la souffrance passées, Wulfried surprit de la curiosité dans ce lacis étranger.

Puis, au milieu de ces méandres, une teinte plus sombre, tirant vers le grenat. Avec un dernier effort de volonté, le guérisseur se rapprocha en prenant garde de ne rien toucher.

Le Fil paraissait intact. Du moins... Toute sa volonté à la recherche d'un indice, d'un détail, le jeune homme la repéra : une minuscule fibre se dressait, brisée, répandant cette lueur rouge malsaine.

- Là ! s'exclama-t-il aussitôt, se ramenant instantanément à la réalité.

Marhra ouvrit les yeux en même temps que son élève et émit un petit claquement de langue d'approbation. 

- Pas mal, pour un débutant !

Peu habitué à se voir félicité par Marhra, Wulfried s'efforça de relâcher ses muscles tétanisés par l'effort. Il devait cependant reconnaitre que ses maux de tête des premières séances semblaient l'avoir abandonné. De même, le froid qu'il ressentait lui paraissait beaucoup moins pénétrant, quoique toujours glacial.

La vieille femme semblait réfléchir et le guérisseur mit ces quelques minutes de répit à profit pour récupérer. Son cœur battait toujours trop fort, mais sa respiration se calma peu à peu. Ces progrès rapides l'encourageaient à persévérer.

- A présent, reprit Marhra comme si elle n'attendait que cela, je vais te montrer comment enrober ton esprit. Ou, plutôt, comment enrober nos deux Fils à la fois. Tu comprendras qu'il vaut mieux que je t'accompagne, pour le moment. 

Wulfried ramassa ses jambes contre lui et frotta ses avant-bras dans une vaine tentative pour se réchauffer. La prochaine fois, il penserait à amener sa cape. La vieille femme, emmitouflée dans ses châles aux couleurs passées, ne paraissait pas fatiguée et encore moins gênée par l'humidité du cachot ou le froid engendré par leurs exercices. 

Aussi, autant par curiosité que pour gagner du temps, avant de jouer à nouveau avec ses forces, il demanda :

- Enrober ? C'est à dire ? Dans quel but ?

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