Chapitre 22 : Jeu de Lunes

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De mauvaise grâce, Wulfried se plia à l'expérience et plongea sa main dans la gueule noire de la pochette, puis posa trois galets devant la vieille femme. L'avidité avec laquelle cette dernière s'en empara acheva de le mettre mal à l'aise.

Sans plus se préoccuper de lui, Marhra caressait le premier symbole, pensive. Wulfried avait eu le temps de discerner un astre rond et noir sur fond bleu. Comme tout le monde, il savait ce qu'étaient censé signifier les lunes qui éclairaient les nuits. Les Six veillaient chacune sur un aspect de leur vie à tous. Si le jeu était lié à la religion, alors ce premier choix exprimait la famille. Quant au fait qu'il s'agisse d'une nouvelle lune... Il n'avait aucune idée de ce que cela voulait dire.

La vieille femme regardait à présent le deuxième galet, vert, orné d'un astre peint couleur émeraude. Celui qui guidait les voyageurs. Marhra ne fit aucun commentaire et s'attarda plus longuement sur le dernier, une pleine lune blanche. Ses sourcils se froncèrent et elle pinça les lèvres en un rictus agacé. 

Wulfried ne tarda pas à briser le silence pesant qui l'irritait.

— Et donc ?

Marhra fit glisser les galets dans la pochette et lança un regard narquois à son élève :

— Je pensais que tu n'y croyais pas !

Touché... Le jeune homme haussa les épaules et se leva. Elle avait raison. Donner à ces sornettes plus d'importance qu'elles n'en méritaient était absurde.

— Dans ce cas, amusez-vous bien, lança-t-il avec mauvaise humeur en la contournant pour sortir. J'ai assez perdu mon temps.

Vive comme l'éclair, la vieille femme lui saisit le poignet au vol et planta ses yeux dans les siens.

— Tu ferais bien de tenir un peu ta langue, si tu ne veux pas la perdre, mon garçon. 

Wulfried ne put réprimer un frisson. Immobilisé par la poigne de fer et ce regard menaçant, il aurait juré avoir entendu la vieille grogner comme un animal prêt à attaquer. Elle le relâcha après quelques secondes de silence et conclut, cinglante :

— Apprendre le respect ne te ferait pas de mal. Tu as quartier libre jusqu'à midi. Puis nous ferons la tournée de la haute ville avec Iscely. Retrouve-nous ici.

Exaspéré de subir des remontrances comme un enfant, le jeune homme tourna les talons. Il aurait aimé rabattre le caquet de cette vieille bonne femme, mais il n'oubliait pas que, s'il souhaitait poursuivre son apprentissage, il lui fallait se plier aux exigences de Marhra et au moins feindre la docilité.

La matinée, déjà bien entamée, se montrait ensoleillée et Wulfried décida d'aller se promener pour se changer les idées. Il commençait à bien se repérer dans cette partie de la ville. Il s'écarta rapidement des étals de nourriture pour dénicher ceux des apothicaires. Le jeune homme aimait flâner en imaginant le jour où il pourrait s'offrir une de ces fioles aux propriétés presque magiques ou des outils de chirurgie si précis qu'il gagnerait en efficacité.

— Compotes ! appela une voix féminine, le tirant de sa rêverie. Poires, pommes et rhubarbe !

Chargée de deux lourds paniers, une jeune marchande ambulante tentait de se faire entendre parmi le brouhaha de la ville. Wulfried eut tôt fait de considérer le charmant visage et les longs cheveux lâchés sur un décolleté tout aussi avenant. Sans hésiter, il s'arma de son plus beau sourire et fit mine de s'intéresser aux petits pains creusés de délicieux mélanges de fruits au miel.

— Que désirez-vous, messire ? demanda la jeune fille avec amabilité en considérant les habits de bonne qualité qu'arborait le Traqueur.

Il pouvait remercier Marhra pour ce petit coup de pouce ! La bourse qui pendait à sa ceinture n'était pas pour autant bien remplie, mais sans doute suffisamment pour s'offrir une de ces sucreries et trouver un moyen d'engager la conversation.

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