— Je pratique une forme de magie ancienne. C'est une façon de guérir à travers la manipulation du Fils de vie de chaque individu.
C'était donc cela ! En un sens, Wulfried n'était pas tout à fait surpris. Certes, Iscely n'était pas censée pratiquer la magie, en tant qu'escelienne, mais... Cet état de fait expliquait les étranges fatigues de la jeune fille. D'abord, celle après la veillée, la nuit de l'arrivée du Traqueur, puis cet état proche de l'évanouissement le lendemain. Sans doute soignait-elle gratuitement en cachette de Marhra.
— Je suis en train de renforcer le Fil du bébé. Mais je dois pour cela prendre de mon énergie.
— C'est... prudent ? interrogea Wulfried, saisi d'un mauvais pressentiment.
Avec la magie, on n'avait rien sans rien, il était bien placé pour le savoir. Or, si guérir des broutilles était déjà douloureux, ramener un nouveau-né au seuil de la mort relevait sans doute d'une prise de risque insensée.
— Oui, si je m'arrête à temps, répondit Iscely dont les joues viraient doucement au bleu foncé. C'est justement pour ça que j'ai besoin de toi. Je vais me lever pour que tu saches précisément quand j'atteins mes limites. D'ici quelques minutes, je vais perdre conscience : puisque je vais tomber, ce sera clair pour toi.
— Quoi ? Mais...
— Laisse-moi finir tant que j'en ai la force. Il faudra que tu attrapes le bébé pour qu'il se blesse pas et, surtout, que tu le sépares de moi. Ça rompra le lien et brisera la magie. Le petit sera pas bien fort, mais suffisamment pour téter. Ramène-le tout de suite à sa mère. Les Six feront le reste, je l'espère. Ensuite, reviens : personne doit me voir dans cet état.
— Iscely... Je ne crois pas que ce soit une bonne...
— Je me débrouillerai sans toi, sinon, je l'ai déjà fait.
Wulfried soupira. Il n'allait pas la laisser ainsi. Évidemment. Alors, il la regarda se lever et poursuivre la guérison. Le bébé ne bougeait pas. Était-il encore vivant ? Le jeune homme tenta de fermer les yeux pour visualiser le Fil de l'enfant mais, sans l'aide de Marhra, il ne vit que l'obscurité. Prudent, il préféra abandonner et surveiller Iscely.
Les joues de la jeune fille se teintaient d'un bleu saphir, son souffle s'accélérait. Les sourcils froncés, elle produisait de toute évidence un effort soutenu. La menotte de l'enfant bougea, s'agrippa instinctivement à la robe blanche. La peau d'Iscely se parait de nuances de plus en plus claires, azur, célestes...
Subjugué par ce changement hypnotisant, Wulfried faillit ne pas réagir quand elle s'écroula subitement. Il se précipita vers le bébé. Poussa d'un même mouvement Iscely en arrière sur le lit afin qu'elle ne se blesse pas en tombant. Quelque chose le retint. Une main minuscule s'accrochait avec fermeté au tissu immaculé. Le jeune homme batailla pour séparer l'enfant de sa sauveuse. S'il n'était pas assez rapide, les Six seules savaient ce qui adviendrait de l'imprudente guérisseuse !
Quand, enfin, il parvint à se saisir du bébé, il courut dans la pièce voisine. Il fut accueilli par un silence inquiet, juste avant que la maisonnée ne voie l'enfant bouger et respirer. Le petit, pourtant faible, était bien vivant. Un véritable miracle ! Sans écouter les remerciements qui fusaient, Wulfried gratifia la mère d'un "Félicitations, c'est un beau garçon" expéditif et retourna dans la petite chambre.
Toujours allongée où il l'avait laissée, Iscely avait rouvert les yeux. Sa peau avait retrouvé un peu de ses couleurs sombres et se drapait à nouveau de bleu nuit.
— Je suis désolée, souffla-t-elle.
— De quoi ?
— De t'avoir menti, jusqu'à présent. Mais Mère-Grand doit surtout pas l'apprendre.
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Guérisseur
FantasyEn refusant de marcher dans les pas de ses parents, Wulfried pense faire le choix de la liberté. Passionné d'herboristerie, le jeune homme veut devenir guérisseur. Non, ce n'est pas l'amour de son prochain qui le porte, mais l'appât du gain ! Sans é...