Chapitre 36 : Étranglement

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Il va de soi, au vu des exemples précédents, que l'idéal sera de voir le sujet visé s'attacher au réceptacle. Plus l'amour sera fort, plus le sujet visé verra baisser ses défenses face à l'intrusion du réceptacle. Dans les cas extrêmes, il se peut même que toute barrière, même magique, devienne poreuse. Prenez garde cependant à ce que votre présence en sus du réceptacle ne déclenche une violente réaction de rejet. (voir chapitres suivants sur la façon adéquate de s'attacher au Fil du réceptacle, afin de minimiser les risques de rejet)

Ainsi... c'était donc cela. Wulfried revoyait Marhra le pousser vers Iscely, lui demander de s'inquiéter de cette dernière... Il avait été doublement manipulé. Son estomac se tordit en songeant que la jeune fille lui avait bel et bien donné son cœur. Sans doute l'avait-elle compris avant lui, lorsqu'il avait avoué n'avoir eu aucun mal à traverser le mur transparent qu'elle avait érigé. À l'idée que Marhra ait pu ainsi jouer avec eux, il serra les poings. Si Iscely ne mettait pas un terme aux agissements de cette sorcière, il s'en chargerait lui-même.

Ecœuré, il tourna encore les pages, jusqu'à trouver ce qu'il souhaitait :

Se défaire d'un pouvoir parasite implique de s'apercevoir de l'intrusion et...

Wulfried sauta quelques paragraphes : au moins avaient-ils mené à bien cette étape. L'oreille aux aguets, il avait conscience que le temps lui était compté. Il imaginait assez mal Marhra passer du temps avec le nouveau-né pour le plaisir de constater qu'il se portait bien. Et puis, l'idée que la vieille femme se trouve avec Iscely le révulsait.

Le plus simple est de droguer le sujet parasite afin d'affaiblir son esprit. Il faudra alors s'immiscer en lui. (voir chapitre suivant) L'aide d'un réceptacle peut être utile si le sujet parasite ignore que l'on cherche à se soustraire à son emprise. Dans le cas contraire, il faudra attaquer directement le Fil du sujet parasite.

Plus l'intrusion est récente, plus il sera facile de desserrer l'emprise du sujet parasite. Se rappeler cependant des supériorités des types de pouvoirs évoquées dans le deuxième chapitre de la partie soixante-huit.

Wulfried allait s'y référer lorsque les exemples cités lui épargnèrent la recherche :

Le feu domine l'obscurité, l'eau domine le feu etc.

S'il avait bien compris ce qu'avait expliqué Iscely, alors elle s'en sortirait face à Marhra. Écrit ainsi, le retournement de situation ne paraissait pas si compliqué à effectuer. Wulfried souffla un peu et continua à lire aussi vite qu'il le pouvait. Outre des considérations techniques sur la structure des Fils qu'il tenta de retenir sans les comprendre, il s'arrêta finalement à un passage plus inquiétant :

... recouvrer son esprit implique une bonne puissance magique. Ne jamais tenter une telle manipulation sans s'assurer d'un secours efficace. Le risque est, outre de tuer le sujet parasite, de se voir happé par le Néant ou bien, au contraire, de se trouver réduit à son Tout. (pour les définitions du Néant et du Tout, voir les chapitres précédents)

Cette fois, Wulfried s'y précipita : il savait à présent l'essentiel et se moquait pas mal de voir Marhra mourir dans l'opération, mais cette dernière information lui paraissait cruciale. C'était la première fois qu'il voyait nommer ce Tout. De quoi s'agissait-il ?

Le Tout, contraire du Néant, est l'état absolu dans lequel se trouve un esprit ayant laissé la magie l'envahir. Le corps disparait alors, pour laisser place au Fil Pur. L'esprit demeure mais n'est plus que conscience. L'état magique est alors capable de grandes prouesses qui seront traitées dans le prochain ouvrage. Notez cependant...

— La curiosité est un vilain défaut, mon garçon.

Dans l'encadrement de la porte, Marhra le regardait d'un œil mauvais.

Wulfried recula, prenant garde de laisser le chevalet entre la vieille femme et lui. Le jeune homme n'avait jamais tué, mais, en cet instant, la rage lui donnait des envies de meurtre. Que cette folle tente un seul geste et il se ferait un plaisir de lui passer son épée à travers le corps !

— Qu'avez-vous fait à Iscely ? demanda-t-il pourtant.

Peut-être y avait-il une façon plus simple de retourner le sort ? À la lueur de la torche qu'elle tenait, Marhra eut un sourire méprisant. Elle se permit d'accrocher le flambeau au mur, sans paraître accorder la moindre importance à l'arme sur laquelle le Traqueur avait posé sa main.

— Cette petite gourde s'attache tellement facilement au premier abruti venu... siffla-t-elle. La preuve ! Remarque, avec toi, ça a été tellement facile ! Je n'en reviens toujours pas ! Je pensais qu'après le choc de la mort de cet imbécile de Lurcan, elle mettrait du temps à se remettre... Gnagnagna, il était comme un frère pour moi, qu'elle me disait !

Marhra contourna le chevalet sans se presser, forçant Wulfried à se déplacer pour garder ses distances.

— Que veux-tu que je te dise, mon garçon ? J'imagine que tu as lu le livre ! Tu y as compris quelque chose ? Ta dulcinée est perdue d'avance ! Elle n'a pas eu un apprentissage classique, elle ne sait pas plus que toi ce que signifient les termes employés !

Sans quitter Wulfried du regard, elle posa sa main sur le livre et le referma d'un coup sec. Ses yeux s'étrécirent alors qu'elle osait un premier pas vers le jeune homme qui tremblait de colère contenue.

— Tu aurais mieux fait de l'abandonner comme les autres, pauvre idiot.

Elle s'avança brusquement. Wulfried n'eut qu'un instant d'hésitation. Suffisant pour que Marhra pose la main sur sa gorge. Le flot de douleur explosa dans le crâne du guérisseur. Il hurla, incapable de dégainer son arme.

— Je vais te montrer ce qu'il en coûte de jouer avec moi...

Dans la tête du jeune homme, un flot noir jaillit. Iscely avait raison : il n'avait plus aucune défense. Son Fil lumineux se vit contraint à l'immobilité, suffoquant sous l'épaisseur gluante.

Wulfried sentit tout son corps se tendre sous l'étreinte, son souffle se couper sous la puissance de la magie. Torturé par une douleur à devenir fou, il se recroquevilla dans un vain espoir d'échapper à la souffrance.

La Néant l'entourait, grandissant. Marhra y puisait sa force, le jeune homme le sentait. Pouvoir d'obscurité, avait dit Iscely... Il comprenait mieux à présent, bien que ses pensées deviennent si confuses qu'il peinait à en saisir le sens.

La vieille femme resserra encore sa prise, comme on tordrait le cou à un poulet insignifiant. Alors que Wulfried sentait son esprit céder, un éclair fauve illumina la masse enténébrée.

Iscely ? Au bord du gouffre, le guérisseur sentit la présence de la jeune fille. Les Fils noirs se tordirent, se réarrangèrent pour s'organiser face à cette menace. 

Alors, le pouvoir d'Iscely se déchaîna. Le jeune homme comprit avec terreur que son esprit devenait un champ de bataille. Une vague brûlante le submergea, forçant l'obscurité à reculer. Marhra, en riposte, étrangla davantage le Fil sans défense qu'elle tenait en otage.

— Arrête-toi, ma fille, ou je le brise net.

La voix avait tonné dans la tête de Wulfried qui se tordit de douleur.

Iscely ne prit pas la peine de répondre à cette provocation. Elle se lança en avant. Le jeune homme sentit son être, au plus profond de lui, se déchirer. Marhra commença à ronger le Fil du guérisseur, tandis qu'Iscely érigeait aussi vite que possible un mur transparent autour de lui. La souffrance devint insoutenable.

Le jeune homme perdit connaissance avant de savoir quelle magicienne serait la plus rapide.

*** Avant dernier chapitre. Chouette ambiance, non ? :D ***

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