Chapitre 26 : Quand les Fils se tissent

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— Làààà... Doucement...

Le Fil noir de Marhra enserra celui du jeune homme afin de le guider plus précisément. Dans son esprit, dans tout son être, Wulfried sentit les chairs se rapprocher, cicatriser peu à peu. Sa tête semblait remplie de lave en fusion, bien sûr ; son crâne paraissait prêt à exploser sous sa propre pression, mais... la victoire était bien là. Totale. 

Le guérisseur rouvrit les yeux, au seuil de l'évanouissement. Il ne pouvait se contenter de ce que son instinct lui criait. Il lui fallait s'en assurer. Son cœur rata un battement quand il constata, triomphant, que le rat tournait en couinant dans la cage. Guéri. 

Marhra avait ramené la bestiole un moment plus tôt, le ventre à demi ouvert. Les entrailles frémissantes, l'animal était plus mort que vif. Wulfried avait préféré ne pas demander si la vieille femme avait mis elle-même le rongeur dans cet état d'agonie.

A présent, le jeune homme était heureux, quoique nauséeux, de voir ses efforts couronnés de succès. Il reprit son souffle, laissa le temps à sa respiration saccadée de retrouver un rythme normal.

— C'est bien, commenta Marhra laconiquement. Demain, on passera au niveau supérieur.

Elle se saisissait déjà la cage pour remonter l'escalier. Wulfried était bien trop épuisé pour se révolter contre ce manque d'empathie désormais familier. Ce ne fut qu'arrivée en haut des marches que la vieille femme s'immobilisa :

— La petite... Tu l'as un peu consolée, au moins, après que l'autre cruche lui ait parlé de Lurcan ?

Encore sonné et sans comprendre le rapport avec la séance, le jeune homme hocha vaguement la tête. Une violente migraine le foudroya aussitôt. Marhra ne resta pas pour le voir se plier en deux et vomir tout son diner.

***

La nuit baignait le donjon d'une obscurité trompeuse. Wulfried passa sans bruit devant l'étage ouvrant sur la chambre de Marhra. À pas feutrés, il alla chercher le trousseau dans le salon, puis remonta au troisième et s'efforça de faire tourner la clef dans la serrure sans provoquer de grincements intempestifs. Le battant pivota lentement. L'oreille aux aguets, le jeune homme attendit quelques longues secondes. 

Dehors, la vie nocturne se poursuivait. L'ouïe entrainée du Traqueur saisit des rires de buveurs, oublieux de la présence du couvre-feu et des patrouilles du guet. Le couinement d'une charrette et les sabots des entlors sur les pavés, résonnaient en contrebas. Sans doute appartenaient-ils à un commerçant peu scrupuleux qui avait payé cette même milice pour mener quelques affaires peu recommandables à la faveur de l'obscurité. Un chien aboyait, comme toujours, qui se tut lorsqu'un feulement de rund, sauvage, se fit entendre beaucoup plus loin, dans la plaine qui cernait la ville. Dans le donjon, le silence régnait.

Rassuré, Wulfried pénétra dans la pièce interdite et repoussa la porte. Il avait apporté une chandelle dont la flamme dansante, sitôt allumée, éclaira les rangées d'ouvrages. Au centre, sur le chevalet, le livre sur les Fils était à présent ouvert et le guérisseur s'en approcha, avide d'en découvrir les mots. 

L'écriture était ancienne, sinueuse, et exigeait un effort de déchiffrage. Mais, lorsque le jeune homme eut saisi que les s ressemblaient à des f, il put comprendre le sens de la page qui s'étalait devant ses yeux.

... pression ascendante sur la base interne ne doit pas dépasser le seuil de tolérance. Les Fils concernés devront bien entendu être liés au préalable, comme nous l'avons vu, ce qui augmentera les possibilités d'appariement le long de la nervure centrale. L'enroulement externe est à privilégier afin d'augmenter les possibilités de connexion et de permettre une fusion durable. L'amalgame demandera plus de travail et sera traité à part.

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