Les secondes vingt-quatre heures sont encore plus pénibles que les premières, je ne se passe absolument rien et je commence à être fou d'être enfermé entre ces quatre murs. La police prend à peine le temps de m'interroger une dernière fois avant mon départ, comme s'ils ne savent pas plus que moi où est-ce qu'ils vont. Pourtant, si j'ai bien une certitude, c'est qu'ils m'ont gardé exactement quarante-huit heures, comme le dit la loi, ils auraient sans doute aimé me garder plus longtemps, mais ils n'ont peut-être pas encore assez de preuves pour faire une chose pareille. Mais ça ne veut sûrement pas dire qu'ils n'en n'auront pas assez plus tard pour me garder de nouveau deux jours.
En sortant de cette prison, je ne sais même pas quoi faire... Une fois de plus, je ne veux pas rentrer chez moi, mais je n'ai pas envie de rentrer du tout, je veux rester dehors, le lieu qui m'a tellement manqué ces derniers jours... Le problème, c'est que je ne sais pas où aller, si je passe par chez moi, au moins l'un des Snow me verra et me posera des questions, mais je ne veux pas parler de ce qu'il s'est passé, j'ai besoin de temps de réflexion avant. Mais si je reste en ville, je vais sans aucun doute croiser l'un des lycéens, dont les questions seront encore plus difficiles à supporter que celle de Snow. Je ne sais même pas où m'isoler du monde sans paraître coupable aux yeux des personnes qui pourront m'y voir.
Incontestablement, je n'ai jamais autant fait attention à mes actes, j'ai l'impression que tout peut être jugé, vu, surveillé et que tout, absolument tout peut se retourner contre moi. Un instant, je me demande si l'avocate, qui m'a été commis d'office, pourrait avoir des réponses, mais j'abandonne cette idée en découvrant que de toute manière, je n'ai plus de batteries sur mon téléphone. Au moins, ça veut dire que j'ai une excuse pour fuir encore un peu plus longtemps cette réalité qui se rapproche de plus en plus de mon pire cauchemar.
Étant proche de la sortie de la ville, je pars en marchant, regrettant amèrement qu'Ekala m'ait déposé en cours lundi, sans ça, j'aurai eu mon vélo pour fuir. Ça n'aurait ni été malin, ni été prudent, mais j'aurais pu partir loin, vraiment loin de tout ce foutoir... J'aurai été obligé de revenir à un moment ou un autre, mais j'aurai pu me cacher loin de cette ville, alors qu'à pied, je suis contraint de rester dans les environs. Si je le voulais, je pourrais prendre le bus, mais je perdrai complètement le principe de dépense physique dont j'ai pourtant cruellement besoin, j'ai l'impression de ne pas avoir pu faire le moindre mouvement depuis deux jours. Je n'ai qu'une envie, me défouler jusqu'à m'écrouler de fatigue, ce qui devrait arriver vite vu ce que j'ai dormi ces derniers jours, je ne sais même pas comment je peux avoir l'esprit encore lucide.
Je marche pendant longtemps, très longtemps et je commence à avoir l'impression que je n'arriverai plus jamais à être fatigué, je n'arriverai plus jamais à dormir sans que je sache ce qu'il est arrivé à Kamala. Je finis par rentrer chez moi malgré tout, je n'ai plus le choix, il fait nuit et je ne sais plus où aller, je ne le savais déjà pas beaucoup au début, mais maintenant, c'est encore pire et si je m'éloigne encore, je vais finir par me perdre. Cette fois, je me force à aller à l'endroit où je suis sensé habité, par chez les Snow, je ne me sens pas encore capable de revoir Djalu, Ekala, Alinta et Calvin, c'est au-delà de mes forces. Et par certain côté, je veux subir la solitude comme une punition pour mon incapacité à venir en aide à Kamala où qu'elle soit. Je sais que c'est idiot et que je n'ai besoin que d'une chose, c'est de parler à une personne de confiance, mais je ne m'en sens plus capable, je ne me sens plus capable de raconter mon histoire à qui que ce soit, même à la famille Snow.
Même en temps normal, je n'ai jamais aimé le silence oppressant de cette grande maison et ça n'a jamais été en s'améliorant, comment ça aurait pu alors que je vis seul dans deux cents mille mètres carrés ? Une immense bâtisse avec comme unique forme de vie, moi. Il n'y a même pas un seul animal ici et vu la maniaquerie de la femme de ménage, je suis convaincu que même les araignées sont éliminées. Si seulement j'aurai un jour pu avoir un chien, mais c'est strictement interdit sous ce toit, mon père en est allergique et même s'il n'est jamais là, tout comme ma mère, il n'y a jamais eu moyen de négocier. Parfois, j'envie ma sœur d'être partie, j'aurai dû faire la même chose depuis plusieurs mois et maintenant, je n'ai plus d'autre choix que de rester.
Je me souviens du bon vieux temps, où cette maison était vivante, vraiment vivante, qu'elle était habitée et qu'elle était aux antipodes du manoir fantôme qu'elle est actuellement. Et encore, j'aimerais presque qu'elle soit hantée, au moins, ça ferait de l'animation et de la compagnie. Mais ce n'est évidemment pas le cas, ce serait trop beau. À la place, je dois me contenter de vivre avec de rare souvenir heureux, du temps où Ekala s'occuper d'Ophélie et de moi, lorsque nous n'étions pas assez grand pour prendre soin de nous-mêmes, jusqu'à ce que nos parents décident que nous n'avions plus besoin de nounou... j'avais à peine huit ans...
Après ça, les Snow, qui était ma seule vraie famille, avec laquelle j'avais toujours vécu, qui faisait vivre cette maison ont dû déménager. Vivre ici n'a plus jamais été pareil depuis, je n'ai plus jamais été pareil, ma sœur non plus d'ailleurs... Et contrairement à moi, elle a pris la meilleure des décisions, elle a été assez forte pour fuir sans se retourner, sans jamais se retourner. J'aurai dû avoir son courage à mes dix-huit ans, je n'aurai jamais dû avoir peu de tout ce que j'aurai laissé derrière moi... Mais je suis beaucoup trop attaché à Djalu et Kamala pour me le permettre, ce sont uniquement eux deux qui m'ont retenu sans le savoir et maintenant que j'ai perdu l'un des deux, je ne suis plus aussi convaincu d'avoir fait le bon choix.
Maintenant, j'ai l'impression de devenir complètement fou à cause de toute cette histoire, je n'ai qu'une envie, hurler, hurler, hurler jusqu'à en perdre la voix. Je ne veux pas dire quoi que ce soit, je veux juste extérioriser ma colère, ma haine et ma peine avec des sons beaucoup plus puissants que des mots.
Il faut que j'arrête de penser, de réfléchir ou quoi que ce soit d'autre, ça va me rendre dingue, je vais devenir dingue, je le sens, je ne peux plus supporter tout ça longtemps.
Pour m'occuper, ou plutôt pour éviter de m'effondrer, j'arrête de rester planter là, au milieu du hall, j'ai déjà l'impression que ça me détruit peu à peu. Prenant une décision, je pars me préparer à manger, me préparer de la vraie bouffe comestible. Je me lance dans quelque-chose d'excessivement complexe et extravagant, suivant une recette comportant des dizaines de préparations que je sors du livre d'une grande cheffe française. Je n'ai même pas tous les ingrédients, mais ça n'a aucune importance, ça m'occupe et je les remplace pas d'autres à peu près ressemblant que je connais suffisamment pour savoir leur rendu et avoir confiance dans le résultat.
Une fois que j'ai fini, pendant le dernier temps de cuisson, je pars me laver. Je n'ai pas envie d'y aller, honnêtement. Je n'ai pas envie de réfléchir, ni de me poser, ni de faire la moindre introspection, ni quoi que ce soit du type. Je ne veux plus penser à ce qu'il va se passer autour de moi. Je ne veux plus penser à ma garde à vue. Je ne veux plus penser à Kamala. Je ne veux plus penser aux accusations qui pèsent sur moi. Je ne veux plus. Je n'en peux plus. Je n'ai plus la force et je n'ai jamais eu ce courage. Un instant, j'envisage de lire pour me vider l'esprit, mais quand je me rappelle que ma lecture en cours est autour d'une enquête à propos d'un kidnapping, je me ravise, ce sera beaucoup trop proche de ma pauvre réalité. À la place, je m'allonge dans mon bain, les yeux fermés, laissant l'eau monter et me recouvrir, je ne veux plus entendre autre chose que mon cœur qui bat et je fais tout pour me focaliser là-dessus.
En réalité, ce n'est pas loin d'être un échec, je ne peux plus me sortir Kamala de ma tête... Où est-elle ? Comment va-t-elle ? J'en viens même à rêver... Si elle n'avait pas disparu, elle serait peut-être là, chez moi et je lui préparerai à manger... J'aurai tellement aimé... Je voudrais tellement effacer ces derniers jours, l'empêcher de partir seule poser son livre, ne pas décrocher à l'appel de ma mère, que Kamala n'est pas disparue... Tant de problèmes en moins...
Soudain, j'entends un autre cœur battre... Je suis formel, j'entends mon rythme cardiaque, mais il y en a un autre, plus rapide, plus précipitée, affolé même. Effrayé, je me redresse et ouvre les yeux, il n'y a personne à côté de moi. J'ai l'impression d'être complètement fou, qu'est-ce que je suis en train de faire là ? À quel moment est-ce que je veux qu'il y ait quelqu'un d'autre dans cette maison et qui plus est dans cette baignoire ? Je suis complètement fou si je commence à avoir des hallucinations en pleine journée ! Pourtant, il y a un instant, j'aurais juré qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la baignoire, je l'aurai juré, je ne sais pas exactement pourquoi, mais je l'aurai juré, j'en étais convaincu et maintenant, j'en viens à me demander si je ne suis pas complètement taré, ça fait trois jours et j'ai l'impression que plus le temps passe, plus je deviens fou.
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L'Étrange Histoire De Kamala Crow (terminé)
ParanormalBeaucoup de personnes racontent des légendes en prétendant qu'il faut le voir pour y croire, mais si dans mon cas, il faut y croire pour me voir. Le 12 juin, à Margate, Kamala fête ses dix-huit ans en ville avec son petit copain, Pâris. À 16 heures...