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— On fait quoi ? demande Selim perplexe.

Les deux marchent dans la rue sans destination en tête. Coline vient de quitter un appel surprise de sa mère qui la pressait d'accélérer son déménagement.

— Ma mère veut que je finisse de ramener mes bouquins et mes plantes du studio jusqu'à chez elle d'ici ce soir... T'en penses quoi ?

Selim lui décoche alors un sourire.

— Est-ce une façon subtile de m'inviter à participer à ton déménagement ?

Coline lui sourit en retour, narquoisement.

— Subtile, non. Mais une invitation, oui.

Le brun est d'accord pour l'aider. Coline rappelle juste après qu'il faut faire demi-tour, que son appartement est tout proche du café. Dix minutes plus tard, la jeune femme insère la clef dans la serrure de sa chambre de bonne, perchée au sixième étage d'un immeuble situé juste en face du lieu de travail de Selim.

— Quand tu dis que t'es passée me voir, finalement t'as juste fait l'effort de traverser une rue, se moque le brun.

Coline lève les yeux au ciel, puis réplique :

— C'est l'intention qui compte mon cher Selim.

Le brun découvre alors le studio. Un matelas par terre à droite, une kitchenette remplie d'épices et de paquets de pâtes entamés, un mur de polaroïds, des plantes et des livres de socio' traînant dans tous les coins ; bref, un appart' d'étudiante. Il repère les quelques cartons vides empilés au fond de la chambre.

— Tu veux quelque chose à boire ? propose Co' en ouvrant son frigo miniature. J'ai... de l'eau, un fond de lait d'amande et.... le reste de mon café filtre de ce matin.

— Va pour le café.

Selim se met à observer le mur de photographies, impressionné par le nombre de clichés. Elle a pleins d'amis, se dit-il intérieurement, en notant chaque visage différent qu'il croise. Sur certaines, il voit l'ancien couple de blonds taper la pose. Sur d'autres, il reconnait Mona.

— J'ai pas de photos de toi, remarque Coline en se rapprochant de lui avec un mug décoré d'un drapeau britannique.

— Normal, on n'a pas été amis pendant deux ans et demi, rappelle le brun en rigolant.

— À qui la faute ?

Elle lui sourit, encore. Et Selim ne peut pas s'empêcher de se dire que Coline lui plaît, encore. Il se sent nerveux quand leurs regards se croisent trop longuement. Il a envie de se distancer quand son bras vient frôler le sien, lorsqu'elle lui montre les photos.

Coline lui parle alors de ses voyages, des semaines d'inté', de son asso' à la fac, de comment elle a rencontré Mona en amphi'. Elle lui raconte combien elle a adoré son échange en Angleterre, des difficultés qu'elle a eu à s'habituer à leur accent. Elle lui montre ensuite sa collection de thé, tout en buvant son café.

Selim se contente de l'observer, de l'écouter, de se dire qu'il se sent confortable auprès de Co'. Il la trouve intéressante et l'admire franchement.

— Et toi ces deux ans, quoi de beau ?

Elle s'installe sur son lit, laisse une place à Selim sur sa droite. Le brun, de son côté, n'ose pas s'installer à côté d'elle. Trop proche. Dans un lit en plus ? Non.

— La prépa, l'hosto' et les concours, ça occupe. La première année d'ingé', tu fais la fête mais je m'emmerdais trop. J'ai pas fait grand-chose. J'ai mis en parenthèses ma vie en gros.

— Oui mais que deux ans... Ça représente quoi dans le cours d'une vie ?

Beaucoup, se souffle intérieurement Selim.

— C'est trop bizarre de te parler, là maintenant, avoue Coline, sans gêne.

— Je dois le prendre comment ?

Elle bredouille, en hésitant sur ses mots :

— J'ai l'impression d'être à nouveau en Terminale. Je sais pas si tu vois ce que je veux dire... mais ça date comme impression. C'est toujours aussi... confortable d'être avec toi.

— C'est peut-être parce que j'ai pas foncièrement changé en deux ans, rétorque Selim.

— Moi non plus.

Les deux se contemplent en silence. Selim sent bien que s'il en avait le courage, il se lèverait pour faire dieu-ne-sait-quoi. Il sent qu'elle en a envie, que la pièce est emplie d'une tension lourde... d'une évidence. Je lui plais encore. Elle me plait encore. Comme avant. Ils sont chez elle. Il n'y a personne autour d'eux. Rien qu'eux deux.

— On s'active ? interrompt finalement Co'.

Elle prend un carton. Il l'imite. Coline propose de mettre un peu de musique. Selim lance une de ses playlists de suite.

Ils remplissent les cartons de bouquins en silence, un à un. Parfois, ils se regardent. De temps en temps, ils se sourient. Selim n'est pas gêné, mais il a l'impression d'être de nouveau au collège, incapable de tenir en place ou d'aligner deux mots, par peur de rompre l'ambiguïté.

C'est Coline qui fait le premier pas, en lui passant la main dans les cheveux.

— Ils sont longs là non ?

Paumé, Selim ne dit rien. Il se contente de la regarder. Il a l'impression que son corps ne fonctionne plus. Comme paralysé, il la regarde jouer avec ses mèches brunes.

— J'ai toujours eu un regret au lycée, avoue Selim.

Coline s'arrête de ranger.

Assis en tailleur, l'un face à l'autre, il ne reste plus qu'un silence envoûtant.

— Lequel ?

Selim hésite. Il perd la tête. Il n'a même plus la force de réfléchir à ce qu'il dit, mais seulement à ce qu'il fait. Il ne range plus, lui non plus.

— Toi.

Coline baisse soudainement les yeux. Elle inspire longuement puis lui lance un regard qui en dit long. Un regard lourd et chaud, dense. Un regard empli de désir.

— J'ai envie de t'embrasser, avoue-t-elle courageusement.

Le brun ne peut que répondre « moi aussi ».

Silence entre eux, de nouveau, avant qu'il n'avoue :

— Mais j'ai peur, Coline.

Peur d'Isidore, peur de faire de la merde, peur de faire du mal aux autres, peur d'embrasser une fille qui lui plaît, peur de ne pas être à la hauteur, peur de l'effet qu'elle a sur lui, peur d'être bloqué dans le passé, peur d'être un mauvais ami, peur des conséquences, peur du regard des autres. Ou plutôt, peur de lui. Une peur rampante, violente, bouffante. La peur.

Il y pense automatiquement, car tout est si intériorisé en lui. À chaque fois qu'il a envie, quelque chose le retient violemment. Sois prudent Selim, contrôle-toi. Pas de gaffe !

Selim se relève soudainement.

— Je crois qu'il vaut mieux que j'y aille.

Fuir. C'est tout ce qu'il sait faire, face à la peur.

— OK. Je comprends. On devrait pas... Merci de m'avoir aidée... ranger ces bouquins.

Il sort sans lui faire la bise, sans transition. Même pas un « salut » poli.

Sorti de l'immeuble, Selim se sent atrocement bête. Il fixe le café où il travaille. Il vérifie l'heure marquée sur son portable. Il se dit qu'il rentrerait bien chez lui se changer, puis repartir pour un footing. Il se dit qu'il est incapable de vivre comme il aimerait, librement.

Finalement, la vraie vie, dans toutes ses potentialités, le terrifie.

MinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant