39

1.3K 158 9
                                    




— Mec, je capte pas trop là, tu m'emmènes où ? se plaint Isidore.

Des mois sont passés depuis l'été. Aujourd'hui est un jour spécial pour toute la famille : on fête l'arrivée de l'enfant de Noham et d'Isabelle. Elle s'appelle Ilya Mesli, partageant les premières lettres d'Ilyes, le prénom du grand-père qu'elle ne connaîtra que de nom.

— Je voulais te montrer mon potager. Gros, c'est pas facile de l'entretenir toute l'année.

Selim en profite pour arracher quelques mauvaises herbes et vérifier l'état du sol. Isidore le regarde faire, sans broncher.

— Tes potes arrivent quand ? demande toutefois Isi', trop impatient.

Le brun hausse les épaules. La bande est invitée pour l'occasion et Isidore rêve de plus les connaître, de rencontrer des gens. Il s'ennuie ferme depuis que Coline est partie. Dans cette ville, où tout se passe et rien ne se passe, le blond a l'air d'en avoir fait le tour à vingt et un ans. Selim n'est pas d'accord : il se sent à l'aise et bien installé. Cela lui fait du bien d'être tranquille, de rester là où il est, de prendre soin des choses qui comptent pour lui.

— D'ailleurs hors sujet mais l'autre jour en arrosant le sol, je me suis rappelé que t'avais été pas mal là pour moi cet été et l'automne dernier. Un vrai frérot.

Isidore, flatté, lui offre un sourire.

— Vrai. Mais c'était pas réciproque : toi t'as joué au petit con.

— Pas faux, réplique Selim.

Mais ils se sont pardonnés, sans rancune, depuis le temps. Selim se remémore le nombre de fois où Isidore et lui se sont vus à l'Attirail après la rentrée, quand tout était encore difficile à traverser. Ce quasi-frère est un vrai repère dans sa vie et il en est reconnaissant.

Symboliquement, c'est pour ça qu'il veut lui montrer le potager, l'espace le plus intime qu'il peut trouver pour solidifier leur fraternité.

— Je capte toujours pas pourquoi tu me montres de la terre et des tomates, rétorque toutefois Isidore.

Les deux éclatent de rire.

Mince, papa. L'oncle d'Ilya n'est pas très sensible à la beauté de notre potager. Tant pis.

Selim ne peut pas lui en vouloir, Isidore est trop sincère.

Puis, tout d'un coup, de loin, on entend les pleurs d'un bébé. Elle est arrivée à la maison ! Selim est attendri alors qu'Isidore grimace : il n'aime pas les gosses même s'il trouve Ilya, de ce qu'il a vu des photos, objectivement « à croquer ».

— On va la voir ? propose finalement Selim.

— Chaud.

Les deux se lèvent, pile au moment où des rayons de soleil viennent dorer la terre. Selim inspire un bon coup : il se sent bien, toujours en train d'apprécier ces micro-détails qui comptent pour lui. Il regarde Isidore s'activer pour rentrer voir la petite. C'est lui le plus impatient, finalement.

— Attends, juste deux sec', rentre en premier, ajoute le brun.

La tête levée vers le ciel, Selim lève ses bras pour s'étirer. Il pense à son père, à la transition qu'a représenté son dernier été. Il sait que tous dans la maisonnée pense à lui, à son absence. De la tristesse ? Oui, mais mêlée à beaucoup de joie. Il a appris à vivre avec la mort, à avoir peur sans forcément tout relativiser. La prendre telle qu'elle est: dans toute sa brutalité.

Le ciel est bleu pour ce printemps.

Selim prend le temps d'expirer cette fois. Il repense à ses dernières introspections comme d'habitude. Dans le jardin, il travaille toujours sur comment exprimer et comprendre ses pensées, ceci à contre-courant de ce que son père lui a appris, et sur les indications de son dernier rendez-vous psy.

Aujourd'hui, il se dit qu'il est heureux que la Vie, avec un grand V, comporte autant de nuances. Demain il pensera peut-être autre chose. Du Selim tout craché.

Mais en tout cas, Selim trouve toujours du sens à célébrer la vie. Et c'est tout ce qui compte pour lui.





FIN

MinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant