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À l'Attirail, Isidore est déjà installé à sa table préférée, dans le coin, avec une pinte presque terminée. Selim sourit face à la dégaine du blond : lunettes de soleil et un bob blanc difforme. Il se cale tranquillement sur la chaise d'en face, répond au sourire jovial d'Isi' tout en initiant un check.

- Regarde-moi ce temps, déclare Isidore en ouvrant grand ses bras.

Il accueille chaque rayon comme si c'était le dernier. Les deux amis discutent rapidement de l'arrivée du bébé. Isidore est exalté même s'il a peur des enfants, considérés comme des êtres monstrueux. Selim, lui, s'interroge sur la religion du gosse. Si la famille d'Isidore est très catholique et pratiquante, les parents de Selim n'ont pas vraiment insisté sur la transmission des rites et croyances à leurs quatre enfants. Si le père musulman a cessé d'être un pratiquant ardu, la mère de Selim a toujours baigné dans le shintoïsme. Bref, le débat est lancé, mais casse trop la tête pour ne pas s'essouffler.

- Tu fais quoi cet été sinon ? demande Selim en changeant de sujet.

- J'anime une colo' en juillet, et je pars avec la clique dans la maison de vacances en août.

- La clique ? interroge le brun en mâchant les popcorns offerts par le bar.

- Co', Angèle, Anatole et moi, répond-il avec évidence.

Selim acquiesce. Il est content de les voir encore aussi soudés, après tout ce temps. Il se souvient d'avoir été invité aussi une fois, dans cette grande maison près de la mer deux ans et demi auparavant. L'été où il s'est dit qu'il fallait passer à autre chose et essayer sincèrement avec Ange... C'était un été très étrange pour Selim, chargé de flou, d'espoir et d'amertume. Le brun n'aime pas du tout comment il se comportait à cette époque.

- Tu veux venir aussi ? Comme au bon vieux temps.

- Euh... non ? répond Selim de but en blanc.

Isidore fronce les sourcils, puis se frappe monumentalement le front avec sa main.

- Ah bah oui je suis con, Angèle et toi... Mais ça date non ? Moi je suis chaud que tu viennes, tu peux même ramener un pote ou la fille qui te plaît du moment.

- Non, ça reste gênant je trouve... Sinon mec j'ai pas de « fille du moment », se défend Selim.

- Mytho. Je te connais, petit tombeur va.

Le brun lève les yeux au ciel face à l'expression hilare d'Isidore. Selim n'est ressorti avec personne depuis Angèle. Une fille l'a embrassé à la soirée d'inté' de sa grande école mais ça ne l'avait pas vraiment intéressé. On lui a plusieurs fois des avances, mais sans succès. Si pour certains la prépa avaient donné faim et soif de relations, de sorties... Selim, de son côté, a réalisé à quel point c'était plus sympa pour lui de se ressourcer seul, avec sa famille ou ses activités préférées. Et puis, l'amour et lui, ça ne marche pas très bien empiriquement.

- Ça se passe bien sinon vos couples?

Selim ne sait pas trop pourquoi il pose cette question, il a juste le souvenir de cette note dans son portable qui lui donne l'impression d'être trop éloigné de ces personnes qui l'avaient marqué.

- Coline et moi... hm... très... très bien, on va fêter nos trois ans bientôt ! Pour Angèle et Anatole, ça roule, même s'ils ont dû faire un mini-break l'année dernière, 'fin je sais pas si t'es au courant. Mais là, Anatole s'est remis avec elle, ils vont très bien ensemble. Et Anatole et moi, c'est fusionnel since day 1 donc tout va nickel.

Isidore finit sa pinte d'un coup et propose de changer de sujet. Selim analyse alors les informations offertes par cette discussion. L'hésitation dans la voix d'Isidore s'est faite ressentir... et le pire, c'est qu'il n'a plus l'air aussi souriant qu'au début du verre. Selim remarque clairement que quelque chose pèse dans son esprit, mais il ne se sent pas à même de l'aider.

Soudain, son interlocuteur affiche une mine plus sérieuse.

- Tu trouves que j'ai beaucoup changé depuis le lycée ? demande Isi' plus sérieusement.

- Non pas trop, avoue Selim.

C'est la vérité. Isidore ressemble comme deux gouttes d'eau à celui qu'il était il y a trois ans. La seule différence, c'est le début de barbe et le style vestimentaire du blond. Pour ce qui est des mimiques, l'humour et l'attitude, Selim ne voit pas trop de différence.

- Toi t'as grave changé mec.

Isidore remet son bob puis serre fièrement l'épaule de son quasi-frère.

- Je t'ai jamais vu aussi apaisé Selim, franchement.

MinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant