Mince

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Quatre coups brefs toqués contre la porte de la chambre sortent Selim de sa transe. Se perdant dans un énième film qu'il connaît par cœur, le brun est surpris de voir entrer sa petite sœur.

—   Qu'est-ce qu'il y a ? demande-t-il, sourcils froncés.

—   Je peux venir dans ta chambre en attendant que maman rentre ?

Leur mère est partie avec les deux grands frères à l'hôpital une heure plus tôt. Il y a eu quelques « complications », « rien de grave » avait assuré Soan par SMS. Jasmine et Selim sont les seuls à devoir rester à la maison, l'hôpital refusant un trop grand nombre de visiteurs à partir d'une certaine heure.

—   Comment tu fais pour regarder un film ? Vraiment, je comprends pas.

—   Je devrais faire quoi alors ? Me tourner les pouces ?

Il regarde sa petite sœur encaisser sa réponse froide, dit avec un ton quasi méprisant. Se sentant coupable, Selim éteint son ordinateur et lui propose de s'asseoir avec lui dans son lit défait. Elle le rejoint avec empressement, impulsée par un besoin de réconfort sincère et profond. Ils observent alors la chambre en silence, le tas de vêtements à droite, les bouquins éparpillés au sol, la poubelle remplie à ras bord. Les deux contemplent ce beau bordel .

—   On parle peu de papa ensemble, constate Jasmine.

Ses yeux brillent d'un seul coup.

—   T'es son enfant préférée et moi le vilain petit canard, on a des points de vue biaisés, se moque gentiment Selim.

—   C'est complètement faux ce que tu dis.

Selim oublie toujours l'âge de ses frères et sœurs. Mais il réalise à quel point Jasmine n'est plus la petite sœur qu'il se peignait dans la tête. Elle a maintenant dix-sept ans, l'âge où Selim découvrait une facette plus rude de la vie et se posait déjà toutes ces questions morbides sur l'avenir de sa famille. C'est comme si d'un coup, sa parole gagnait en crédibilité à ses yeux, comme si, pour une fois, il était prêt à l'écouter. Il déplore cette réalisation.

—   De toute façon, avec trois grands frères, c'est sûr que c'est impossible de parler de papa à la maison.

—   Comment ça ?

Jasmine hausse les épaules, l'air exaspérée.

—   C'est évident, vous les mecs à la maison, c'est toujours : on parle de rien, on fait comme si tout allait toujours bien, la fierté avant tout. Ce que papa vous enseigne depuis tout petit quoi. Soan dit que papa va bien mais maman est en larmes quand on l'appelle. J'y comprends rien : quand ça va, ça va pas, quand ça va pas, ça va toujours pas. Et au final, on parle pas.

Sa petite sœur parle sans s'arrêter, en contrôlant posément sa voix. Selim est surpris par ses mots, de leur froideur... de leur vérité. Il ne sait même pas quoi dire, trop habitué à ne pas réagir dans cette famille.

—   T'as peur toi ? interroge Jasmine.

Les mots peinent à sortir de la bouche de Selim. Sa gorge se noue et il sent qu'il est sur le point de craquer : tout se fêle. Son cœur, sa tête, sa force, sa peine.

—   Oui, comme tout le monde.

—   T'en as pas l'air.

—   Comment ça ? Dis toi que papa m'a défoncé une fois parce que j'avais l'air d'avoir peur en face de lui.

—   Qu'est-ce que papa est con parfois.

Selim est choqué par la violence de sa sœur. Ses paroles sont crues et résonnent parfaitement avec ses pensées les plus intimes. Il sent qu'elle a raison, mais il ne l'a jamais formalisé ainsi.