9

1.7K 250 24
                                    




Isidore n'avait pas tort. Le « petit comité » est très relatif. Il y a du monde, mais vu que Selim arrive tard avec Léonard, beaucoup ont déjà « décal' autre part ». Ce sont les mots de Mona en personne, légèrement bourrée. La jeune femme porte un maquillage assez impressionnant, au trait d'eyeliner technique. Son fard rouge fait ressortir la couleur de ses yeux, et dans le noir, Selim parvient à la complimenter avec honnêteté.

Mona le tire alors par le bras, l'invite à rejoindre un cercle de potes installés autour de sa table basse. Il ne reconnaît pas les visages de Coline et Angèle tout de suite. C'est seulement quand l'hôtesse de la soirée le présente aux autres, qu'il sent un regard pesant sur sa droite. Puis, il voit aussi les yeux bienveillants de Co'. Et merde. Sauvé par l'air perdu de Léonard, le brun explique qu'il a un truc à dire à son pote. Il n'ose croiser le regard de personne en se relevant, bénissant intérieurement ses nouvelles bouées de sauvetage : Léonard et Isi. Anatole arrivera plus tard, selon les dires de son meilleur ami.

- Faut qu'on boit comme des trous, annonce Léonard en posant sa bouteille sur la table.

- J'ai la flemme d'arriver avec une gueule de bois demain au boulot, avoue Selim.

- On peut se rouler un pét', il me reste de la beuh, prévient Isidore en arrivant derrière les deux.

Selim est au courant depuis pas mal de temps qu'Isi' a repris sa consommation régulière de cannabis. Un an et demi, s'il compte bien. Il pensait juste qu'il le faisait davantage en privé.

- Je fume rien, désolé, répond Selim alors que Léonard est méga partant.

Finalement, le brun est coincé avec ses deux potes - en train de rouler - dans la salle de bain. En traversant le lieu, il réalise que Mona séjourne dans une coloc' assez spacieuse et mal rangée. Des bouquins de socio' traînent dans chaque recoin.

Une heure passe. Sobre, fatigué et désespéré par les discussions nazes avec ses amis, le brun décide de regarder seul le ciel par la fenêtre. Il doit être deux heures du matin, et qu'est-ce qu'il s'ennuie à fuir le monde, son ex qu'il ignore pour ne rien envenimer et ses potos en transe. De toute façon, avec le temps, Selim réalise à quel point il a besoin de se ressourcer seul, même entouré par un paquet de personnes.

Soudain, on lui tapote l'épaule.

- Salut.

Il la reconnaît, rien qu'à la voix.

- Tu regardes quoi de beau ? demande Coline.

- Je stalke les voisins de l'immeuble d'en face, plaisante-t-il.

La blonde rit, lui demande de lui laisser un peu de place pour le suivre dans cette aventure voyeuriste. Elle s'appuie comme lui sur le balcon, leurs coudes se touchant innocemment. Leur silence, quoique confortable, intimide Selim.

- Je savais pas que Mona t'avait invité, lance-t-elle doucement.

Il l'observe avec discrétion. Coline a l'air d'étouffer de chaleur et prend un plaisir immense à sentir les légères brises d'été sur sa peau. Le brun hausse les épaules, distraitement.

- Ça date la dernière fois où on s'est vraiment parlé... D'ailleurs ça te va bien la petite barbe de trois jours.

Selim remarque ses efforts, même naturels, pour soutenir la discussion. Il se sent à l'aise, juste après avoir regardé la lune. Ouaip, Co' lui avait manqué. Cette proximité l'a toujours rendu aussi nerveux qu'apaisé. Là, il se permet d'être lui-même, à nouveau.

- J'ai juste oublié de me raser, prévient-il en se touchant le menton.

Puis, le brun relance, d'un ton plus coupable :

- Désolé de t'avoir ghostée y a deux ans. C'était compliqué.

Coline acquiesce.

- Ouais, c'est clair que c'était... compliqué, répète-t-elle simplement.

Il y avait eu Angèle. Et même si Co' avait eu toute la bonne volonté du monde pour ne pas prendre parti, Selim se souvient de la déception de la blonde en appel, après avoir appris un soir d'hiver que son ami avait redonné une chance à sa meilleure amie totalement éprise de lui. Il s'était mal comporté. À l'époque, par facilité, Selim s'était lancé dans une relation où il avait eu réellement espoir de construire quelque chose de fort et de vrai. Ça avait été fort, mais pas vrai.

- Mon père est enfin de retour à la maison, il va bien mieux, annonce-t-il soudainement.

Il l'a dit et le soulagement se fait sentir sans plus tarder. Ses lèvres s'étirent en un grand sourire. Selim se souvient de la fois où il lui avait présenté Coline à l'hôpital, un peu après les résultats du bac. Elle lui avait ramené des fleurs sacrément jolies.

Le jeune homme ne sait pas trop comment cette discussion va s'achever, mais il est heureux de le lui avoir annoncé, comme il l'avait espéré dans ses notes quelques semaines auparavant.

- C'est... formidable ! Je suis tellement contente ! répond-t-elle avec un sourire flamboyant.

Ses yeux brillent d'espoir, autant que lui.

Mais rapidement, Coline se rembrunit, baisse la tête et croise ses bras, d'un air triste.

- Je suis désolée de pas avoir été là pour toi quand t'en avais le plus besoin, j'ai essayé de te taper des messages... mais vu que tu me parlais plus, je me suis dit que, ça servait plus à rien. Que c'était mieux de s'éloigner... Et puis j'étais... super blessée franchement.

Selim lui fait un petit coup de coude amical pour la remettre à l'aise.

- C'est pas grave Coline. Je suis heureux. On va tous bien et on est tous en bonne santé aujourd'hui. Je pense, tu vois, que c'est le plus important.

Ils se sourient, d'accord sur ce point.

- Ça te va bien tes cheveux comme ça, complimente-t-il spontanément.

Au même moment, Isidore encercle les épaules des deux personnes à la fenêtre. Il braille les paroles de la chanson qui passe. Défoncé, il fait de grands gestes brusques. Coline soupire, le gronde légèrement avant de s'excuser devant Selim. Le couple s'éloigne, rejoignant les autres. Et d'un œil distrait mais rassuré, le brun se remet à divaguer seul dans la nuit.

Rien que pour cette discussion, ça valait le coup d'être passé.

MinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant