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La nuit, avant de dormir, quand Selim ne se sent pas très bien, il se force à lire quelque chose. Il s'oblige à mettre de côté son portable, éloigner les réseaux sociaux et les notifications qui l'oppressent ponctuellement. Puis, livre dans les mains, il essaie de toutes ses forces de se concentrer et rentrer dans de la fiction.

Quand ça ne fonctionne pas, il visionne sur internet des tutoriels de guitare. Ça l'apaise de reconnaître les notes et joue avec ses doigts dans l'air. Faut que j'essaie de jouer ce morceau demain, se murmure-t-il tout bas.

Il repense à Isidore. Le blond qui lui demande de l'aide, de manière floue. Avant de se quitter, il lui a annoncé qu'il le ferait bientôt mais n'annulerait pas leurs vacances ensemble en août. Selim n'a rien répondu, mais dans le regard paumé d'Isi', a senti toute la confiance qu'il lui vouait.

Cette pression particulière n'arrange pas Selim. Il n'aime pas rentrer dans les histoires de cœur des autres. Mais il se dit que c'est sa faute, si les gens l'y entraînent, se confient, veulent qu'il ait un rôle à jouer, même minime. Il a toujours du mal à dire non. Parfois, il se foutrait bien sur une île déserte, rien que pour récupérer de ces interactions sociales qui le compriment.

À une heure du matin, un poids l'oppresse. C'est toujours pareil, une petite pression en entraîne une autre plus grande, jusqu'à l'étouffer, mais quand rien n'a de lien ou de sens. Tous ses émotions négatives enfouies remontent. Sa peur de la mort, elle, triomphe.

Là, si je ferme les yeux, tout est noir.

La mort, le rien, le néant ou la plénitude, l'inconnu, la réincarnation ?

Est-ce que demain matin, je serais encore vivant ? Et si je mourrais ? Et si la vie me quittait ?

Je veux vivre. Mais c'est pas moi qui décide.

Je suis vivant ? Ils sont vivants ? Papa l'est aussi ? Mais pour combien de temps ?

Qu'est-ce que je raconte, bouge-toi Selim.

Ses ressentis s'oublient derrière les bribes de paroles des autres. L'incompréhension est totale, il n'arrive même pas à réfléchir tant tout est opaque. Il sent que ce coup de blues a quelque chose qui se rapproche de ses habituelles crises d'angoisse du passé. Des prémisses qui veulent lui retourner le cœur, l'enfouir sous la panique, anesthésier ses émotions positives.

Il n'ose plus dormir. Il a peur, trop peur. Son mal-être est encore là, et dire que le brun pensait qu'il partait pour de vrai depuis quelques mois.

Alors là, d'un coup, Selim se relève, s'habille d'un sweat et d'un jogging sale. Il sort de sa chambre mécaniquement, comme si sa tête était en pause mais allait exploser. Il sait qu'il est tard, il sait qu'il n'a qu'à tendre l'oreille pour entendre les ronflements de son père, amorçant la disparition diffuse de la mort. Mais non, il se force à sortir de la maison, de faire un pas, de courir, de dépenser ces ondes qu'il veut fuir et combattre à tout prix.

Il ne sait pas trop ce qu'il fait cette nuit. Il sait juste qu'il ne veut plus revoir ses anciens démons. Il veut respirer sans avoir peur de mourir.

MinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant