Chapitre 7. La proie

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Quatre jours avant le coup d'Etat de Castelange

Le bain d'odeurs, toutes plus répugnantes les unes que les autres, accompagna le parcours d'Auguste à travers les égouts. Des relents d'ordures, de déjections et de pourriture lui donnaient envie de vomir, tandis que ses yeux peinaient à se repérer dans les ténèbres verdâtres des souterrains. Il se sentait comme enterré vivant avec la désagréable impression qu'il ne reverrait jamais ni le soleil ni l'air frais de l'extérieur. Elle lui collait à la peau, de même que l'atroce angoisse. Il vivait avec elle depuis que son oncle lui avait confié ses projets. Ils avaient dormi, respiré de concert, mais aujourd'hui c'était pire, car elle se mêlait à un mauvais pressentiment depuis quelques minutes et ce dernier ne cessait de croître à chaque seconde.

Sous les arcades des tunnels voûtés en granite, sa respiration haletante résonnait à ses oreilles dans un vacarme infernal. Il rejeta une dernière fois ses longs cheveux brun en arrière, puis continua d'avancer en soulevant ses pieds de l'eau opaque où flottaient des reliefs de légumes noircis ainsi que des cadavres de petits animaux. Les rats grouillaient en masse, attendant peut-être qu'il s'effondre pour commencer le festin : Auguste avait entendu des histoires d'ivrognes défigurés par les rats ou de vagabonds à l'oreille déchiquetée par leurs incisives.

Il ne comptait pas périr aujourd'hui. Il avait une mission qui reposait sur ses épaules. Pour une fois que son oncle lui en confiait une, il n'allait certainement pas le décevoir. Le visage de Lucretia avec ses yeux d'ambre brillant d'inquiétude s'imprima dans son esprit et provoqua en lui des émotions contradictoires. Une violente jalousie pour commencer, née d'années de brimades et de la position privilégiée de sa sœur au sein des Stanhope. Elle était la future Gardienne et lui n'était qu'un bâtard recueilli par la bonté d'âme d'Amélia Stanhope. Il était aussi digne qu'elle, aujourd'hui il le prouverait, il ne méritait pas sa pitié. La seconde émotion lui serra le cœur malgré lui et une larme coula sur sa joue. Elle méritait plus que cette vie de bannie : c'était son rôle d'aîné de la protéger, il donnerait sa vie pour elle.

Comment ces deux pensées aussi extrêmes parvenaient à cohabiter dans son esprit ? Elles ne cohabitaient tout simplement pas, elles s'entre-déchiraient, ravageant tout dans leur affrontement. Auguste n'en pouvait plus.

Le jeune homme fit soudain volte-face. Tous ses sens en alerte, il balaya l'endroit du regard. Il était sûr d'avoir entendu une respiration qui n'était pas la sienne. Par les Trois Aiguilles, il sentait une présence mauvaise et dangereuse dans son dos, mais il dut bien se rendre à l'évidence : il n'y avait personne. Etait-ce cela ce mauvais pressentiment qui le collait ? C'était impossible que quelqu'un le suive. Il n'y avait personne. L'angoisse et la peur étaient-elles en train de le rendre fou ? Sa grand-mère lui avait appris à se fier à son instinct, mais comment faire la différence entre l'instinct et la folie ?

À cette évocation, les souvenirs remontèrent à la surface sans qu'il puisse s'en empêcher. Le jeune homme se rappelait du jour de la mort d'Amelia Stanhope comme si c'était hier, ce qui n'avait rien d'étonnant considérant les impacts que ce décès avait eu. Ils rentraient d'une soirée à l'Opéra avec ses parents et Lucretia lorsque son oncle était venu à leur rencontre pour leur annoncer qu'Amélia avait été assassinée. L'identité des meurtriers ne faisait pas l'ombre d'un doute : Blanchecombe. Son oncle et ses parents avaient tenu un conseil de guerre auquel sa sœur et lui n'avaient pas pu assister. Le lendemain, son père et sa mère partaient en mission pour faire sauter le Parlement. Cela avait été leur idée.

Brillante idée.

Enfin, Auguste ne pouvait pas leur jeter la pierre. N'était-il pas en train de faire la même chose, sans que ce soit lui qui soit à l'origine du plan et pire, en sachant, ce qui était arrivé aux derniers qui avaient tenté l'opération ? S'il y avait bien un fou ou un idiot dans l'histoire, c'était lui.

En un tour de cadranOù les histoires vivent. Découvrez maintenant