Chapitre 14. Lorenzo [1/2]

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La quiétude tranquille de son bureau avait un aspect familier, presque domestique. Le grattement de la plume sur le papier, le crépitement des flammes dans l'âtre et l'odeur de la cire sur les meubles : chaque détail de cet endroit, Morgane le connaissait par cœur. Même après le coup d'Etat, elle n'avait pu se résoudre à abandonner cette pièce et continuait d'y venir en dépit du fait qu'elle aurait pu obtenir un lieu de travail plus grand.

La nuit tombait au dehors, mais elle entendait encore les coups d'épées échangés entre son fils et la colonelle Nuray dans le parc du château juste sous ses fenêtres. Ils avaient dû être mis à la porte de la salle d'arme après l'avoir occupée toute la journée et avaient reporté leur séance d'entraînement à l'extérieur.

Morgane reposa sa plume : ils faisaient tellement de bruit qu'elle n'arrivait plus à se concentrer. Elle se leva, alla jusqu'à la fenêtre puis s'assit sur le rebord, le regard vague perdu vers l'horizon. Tout avait l'air si calme, si normal... Ses doigts caressaient machinalement les boiseries qui l'entouraient et son regard revint dans pièce pour rencontrer les deux profondes entailles laissées dans les boiseries du mur à côté de la porte du bureau. Il ne s'agissait pas de simples entailles dues à des termites particulièrement voraces, ou une dégradation quelconque : ces entailles, c'était ses coupe-papiers qui les avaient causées.

Le souvenir s'imposa aussitôt dans son esprit.

Ce soir-là ressemblait beaucoup à celui-ci : calme, tranquille, son fils s'entraînant au-dehors.

Le coup d'Etat avait eu lieu quelques jours auparavant et l'emploi du temps de l'épouse d'Uther s'était étoffé en conséquent. La Cour se pliait bon gré mal gré à leur volonté, rendant l'ambiance des débuts empoisonnés, renforcée par les tensions entre les anciennes lignées aristocrates et les industriels nouvellement anoblis. Cet endroit était le seul où Morgane pouvait enfin se concentrer sur elle.

Elle connaissait si bien ce bureau qu'elle sentait chaque changement dans l'atmosphère et dans l'environnement en une seconde. Aussi, Dame Flamdragon sentit le souffle d'air ténu provoqué par un battant qui s'ouvre, avant de dresser l'oreille et d'entendre distinctement le son étouffé de pas sur le tapis. Qui que ce soit, une personne qui s'approche avec autant de discrétion ne pouvait pas avoir de bonnes intentions. Si ses sens étaient aussi aiguisés au point de deviner l'entrée d'un indésirable, ce n'était cependant pas eux qui l'avait alerté en premier. Avant même que le souffle provoqué par la porte ouverte ne l'effleure, elle ressentait déjà une présence mauvaise et dangereuse dans son dos, l'impression désagréable d'être observée lui collait à la peau. Sa sensation, ajouté à ces pas étouffés, ne laissaient plus de place au doute: ennemi en approche.

Sa main se referma sur deux coupe-papiers dont elle se servait pour ouvrir les lettres. Tous ses muscles se contractèrent instinctivement. Les pas se rapprochaient.

Elle se retourna soudain, arma son bras et lança le coupe-papier avec une précision digne de celle de son mari. La première lame se planta dans la manche de l'intrus qui s'était approché derrière elle. Un deuxième coupe-papier lancé à toute vitesse harponna son deuxième bras et il se retrouva définitivement immobilisé, épinglé sur les boiseries comme un papillon séché.

Morgane empoigna sa rapière qui reposait appuyée contre sa chaise, dégaina dans un chuintement métallique et s'approcha de son prisonnier. L'homme n'était pas de Castelange, cela se voyait sur les traits de son visage. Un large front, une mâchoire carrée, mais ses cheveux noirs et lisses ramassés en chignon sur sa nuque trahissaient des origines combiennes. Il ne portait ni protection ni arme, et n'avait pour tout signe distinctif qu'une balafre qui lui traversait le visage de la courbe de la mâchoire à l'œil. Outre cette cicatrice, il n'avait ni l'allure d'un assassin, ou encore moins d'un voleur. Était-ce un homme appartenant à la suite de l'Ambassadeur de Blanchecombe ? Pourquoi ne s'était-il pas annoncé dans ce cas ? Pourquoi exsudait-il une pareille aura de danger ?

En un tour de cadranOù les histoires vivent. Découvrez maintenant