Sans surprise, Lucretia eut mal au pied au bout de deux kilomètres et ne se fit pas prier pour partager sa souffrance à sa geôlière. Elles avaient laissé plus tôt dans la matinée la carcasse inutilisable de l'avion pour s'enfoncer dans les bois sans pour autant trouver un sentier à rallier et sans croiser un seul panneau. La combienne passait donc le plus clair de son temps, lorsqu'elle ne fixait pas Lucretia, le nez rivé sur sa boussole. L'adolescente avait bien du mal à garder le cap à cause des détours qu'elles devaient faire à cause des arbres, ce qui l'agaçait d'ailleurs.
- On est dans une forêt, on peut difficilement avancer tout droit..., finit par rétorquer Lucretia, lassée au bout d'un moment par ses incessantes jérémiades.
La nuit avait déjà été courte, la randonnée en prime l'achevait.
- Je suis pilote moi, pas fantassin dans l'armée de terre, répliqua l'adolescente.
La Stanhope baissa les yeux, puis aussitôt gronda lorsqu'elle réalisa que ses plaies se rouvraient et que de nouvelles commençaient à se former à cause des branches, des ronces et des cailloux sur son chemin. Enfer, elle devait trouver des chaussures rapidement ou à ce rythme, ce ne serait pas la fatigue qui allait être son plus grand ennemi.
Elle glapit soudain avant d'enchaîner les jurons : elle venait de marcher dans des orties. La jeune femme se laissa alors tomber par terre pour pouvoir masser ses pauvres pieds.
- J'abandonne : tu peux m'électrocuter autant que tu veux petite, je ne ferais pas un pas de plus.
L'adolescente s'arrêta à sa hauteur, puis la regarda comme deux ronds-de-flans. Évidemment, la pauvre ne savait pas comment réagir, il fallait croire que les cadets apprenaient à piloter et non pas comment gérer une prisonnière récalcitrante.
- Arrêtez votre cinéma, chochotte. Relevez-vous où vous vous prenez un coup d'aiguillon. Il peut assommer un homme d'une centaine de livres en un coup, tenta-t-elle en essayant d'avoir l'air autoritaire.
Cette menace ridicule tira un ricanement sans joie à Lucretia : cela se voyait que cette gamine n'avait jamais marché sur une ortie...
- Épargne ta salive, gamine. Je sais comment fonctionne cette saleté. Par ailleurs, fait fonctionner un peu ta matière grise: si tu m'assommes, tu vas devoir me traîner. Je te donne une centaine de mètres avant d'abandonner. Je sais aussi que ton joli bâton doit être rechargé régulièrement comme n'importe quel pistolet. Tu as quatre cartouches. Tu as grillé la moitié d'une pour moi et nous sommes toujours sur le territoire de Castelange. Tu auras besoin de toutes tes munitions s'il venait à y avoir une échauffourée. Je te déconseille de gâcher encore de l'énergie.
La gamine avait l'air d'avoir mordu dans un citron et poussa un horrible juron avant d'enchaîner sur une insulte sur tous les Stanhope de la terre et surtout les clochardes va-nu-pied. L'insulte passa au-dessus de la tête de Lucretia, qui se rengorgea plutôt et se demanda comment la gamine allait bien pouvoir s'en sortir maintenant. De son côté, elle comptait ne pas bouger jusqu'à ce que le saignement cesse ou jusqu'à ce qu'elle trouve du tissu pour renouveler les bandages. Elle avait déjà massacré le bas de son pantalon, ne lui restait que sa pauvre chemise. Dilemme compliqué : pied nu ou torse nu ?
La jeune femme releva les yeux pour découvrir l'adolescente jurer tout en distribuant des coups de pieds dans les arbres. Le spectacle l'amusa assez et avait le mérite de la distraire de sa douleur.
- Gast ! Nous allons mettre des jours à ce rythme-là pour rejoindre Blanchecombe ! pesta la gamine en levant un point vengeur vers le ciel, comme pour prendre les dieux à témoins.
- Sans aucun doute, acquiesça Lucretia à qui on avait rien demandé.
- Pourquoi ça m'arrive à moi ?
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En un tour de cadran
ParanormalLa Famille Stanhope n'est plus que l'ombre d'elle-même. Exilée dans le royaume de Blanchecombe et menacée de mort, elle vit dans le vain espoir de retrouver son âge d'or. Sa seule richesse : une énigmatique montre qui n'indique pas l'heure, mais qui...