Chapitre 3. Le goût de la cendre [1/2]

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Le balancier de la grande horloge oscillait avec une telle lenteur et une telle régularité que cela donnait envie à Lucretia de la réduire en miettes. La brûler. La découper en petit bois pour le feu. Tout plutôt que de supporter une seconde de plus son tic-tac.

Lucretia bondit hors de sa chaise sur laquelle elle essayait désespérément de prendre son mal en patience, et commença à faire les cent pas dans la cuisine. Elle tournait en rond, comme une lionne en cage. Elle passait et re-passait des dizaines de fois jusqu'à connaître par cœur les détails de la pièce jusqu'à chaque rainure du parquet.

Ce n'était pas possible de prendre autant de temps ! Son frère aurait dû revenir depuis au moins deux heures ! Sans compter son oncle qui s'était enfermé dans son bureau et qui refusait d'en sortir ! Elle l'imaginait, au fond de son gros fauteuil, ses sourcils broussailleux froncés, sa moustache en croissant de lune frémissante et sa bouche éternellement plissée dans une moue de mécontentement.

« Fais confiance à Auguste, femme de peu de foi. Ce n'est pas avec ce courage digne d'une sourie que tu parviendras à rendre l'honneur de ta famille ! »

Voilà, ce qu'il lui dirait.

La Stanhope se força alors à se rasseoir une nouvelle fois. Ses doigts pianotèrent d'impatience sur le bois, puis elle refit sa natte pour la énième fois. Ses doigts tremblaient tant à cause de la fébrilité qu'elle s'emmêlait les pinceaux en tressant ses cheveux bruns. Voilà deux heures qu'elle se rongeait le sang, sa tasse de café vide encore devant elle. Elle se souvenait s'être endormie quelques heures avant d'être réveillée par l'horloge. Elle décroisa ses bras ainsi que ses jambes, posa ses mains bien à plat devant elle, et disciplina sa respiration comme on lui avait appris.

Lucretia essaya de se rappeler ce que feraient ses modèles féminins dans de pareilles situations. Malheureusement, les exemples ne se bousculaient pas au portillon. Sa mère n'était que le symbole d'un échec. Une faiblarde qui avait mis toute sa famille en danger avec son père. Un beau duo d'incapables. Elle avait parfois honte d'être leur fille. De par leurs fautes, elle avait failli perdre Francoeur et leur oncle avait manqué d'être arrêté.

Blanchecombe avait envoyé des soldats à leur trousse... Mais ils avaient réussi à leur échapper : ils avaient sauvé l'héritage. Si leurs imbéciles de parents avaient été assassinés par le royaume de Blanchecombe, son frère et elle étaient encore vivants, la montre était en sécurité et leur oncle toujours en capacité de leur transmettre la mémoire des Stanhope.

Sa grand-mère...

Voilà déjà une femme qui en avait sous le jupon. La quarante-huitième Gardienne des Stanhope et une des meilleures ! L'assassinat de roi David Henker ainsi que de sa femme, Céleste Mondagor, et qui avait manqué de plonger le royaume dans le chaos ? C'était elle. Retrouver le monocle des Stanhope que son oncle arborait avec fierté ? Encore elle. Elle avait monté une couverture impeccable, transformant leur famille d'exilés en un riche clan de citoyens modèle, bien implanté dans la capitale. Une place de choix pour comploter contre le royaume de Blanchecombe, afin de montrer à la famille dirigeante de Castelange que les Stanhope étaient encore de puissants alliés, dignes d'être à nouveau leurs conseillers.

Et ses parents... Sa maudite mère et son maudit père avaient tout mis en l'air par leur incompétence. Heureusement que Grand-maman n'était plus de ce monde. Elle devait se retourner dans sa tombe à l'heure qu'il était.

Reprenons.

Que ferait Grand-maman en ne voyant pas son frère revenir d'une mission suicidaire pour le compte des Stanhope dont elle ignorait tout ? La situation était déjà en soit peu probable : Grand-maman était toujours au courant de ce qui se tramait chez les Stanhope.

En un tour de cadranOù les histoires vivent. Découvrez maintenant