Chapitre 4. L'otage de Castelange [1/2]

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Dans la salle à manger du palais royal de Castelange, les déjeuners n'avaient pas l'habitude d'être des odes à la tranquillité. Attablés tous les deux en bout de table, le roi Charles Ygensen et Uther Flamragon ne furent donc pas surpris lorsqu'ils entendirent des insultes résonner dans le couloir à l'extérieur.

- Je me disais que ce repas devenait trop calme, grommela le monarque en soupirant.

Il adressa un coup d'œil oblique, lourd de sens, à son conseiller et responsable des armées. Uther poussa en réponse un grognement dans sa barbe, puis leva les yeux de son assiette. Les paroles du nouvel arrivant étaient assourdies, cependant, l'identité de cette personne qui se rapprochait de la salle à manger royale, ne faisait aucun doute. Des cris et des insultes, la voix grave et inquiète des soldats, le claquement des talons en écho sur le marbre du couloir : voilà des signes qui ne trompaient pas.

Uther coupla son grognement à un air las avant de débuter machinalement le compte à rebours : cinq, quatre, trois, deux, un...

- Je vais tous les muter sur la banquise !

Les battants de la salle à manger s'ouvrirent violemment puis claquèrent contre les murs avec fracas. Toute la belle bimbeloterie de porcelaine et de verre trembla sur les étagères, tandis que le lustre tangua légèrement dans un tintement cristallin. Sur le seuil, une créature en robe à tournure vert émeraude fulminait dans la lumière du soleil qui traversait à foison les grandes fenêtre de la salle à manger. Sa longue natte châtain clair battant sur ses reins, son nez aquilin pointait vers les deux hommes comme la pointe d'une épée. Précipitamment, le chambellan courut à sa suite, son grand feutre à plumes (1) sur le point de choir, perché en équilibre sur le haut de son crâne :

- Dame Morgane Flamdragon, baronne... !

- Nan mais, c'est bon, on la connaît, on va pas se farcir à chaque fois la présentation..., l'interrompit Uther en agitant la main vers le pauvre chambellan au bord de la syncope.

Le monarque, la bouche pleine, coupa son conseiller :

- Je suis roi ici, je lave pas les carreaux ! Alors on va respecter un peu le protocole ! Si j'exige que soient faites les présentations, c'est pour qu'elles le soient !

Le temps qu'il termine sa phrase Morgane avait eu le temps de débiter des chapelets de jurons (2) avec la vitesse d'une locomotive lancée à pleine vapeur. Ses cinquante années avaient glissé sur elle sans entacher son incroyable fougue. Des jours à la Cour de Castelange, on en venait à regretter qu'elle n'ait pas, comme toutes les dames de son âge, préféré la chasse à la politique. Avec ses lèvres pleines, rouge comme la cerise, ainsi sa peau parfaite sans tache, elle aurait pu passer pour une des plus belles femmes de la Cour si la seule chose qu'on retenait lorsqu'elle apparaissait, n'était pas la menace qui exsudait d'elle.

- Que voulez-vous encore ? Souffla Uther quand la baronne se fut assise à ses côtés.

Immédiatement, son visage pivota avec la même vivacité qu'une vipère sur le point de mordre.

- Tiens, ça vous intéresse ce qu'il m'arrive, maintenant?

- Bah, je me dis qu'à un moment ou un autre, ça va finir par arriver sur le tapis. Alors j'anticipe.

- C'est l'intendant ! scanda-t-elle.

- C'est pas vrai c'histoire ! Tous les jours, il y a un problème ! On dirait que rien ne va avec vous !

- Rien ne va tout court, c'est quand même pas compliqué à comprendre !

- Bon, et bien quoi l'intendant ? rétorqua le roi qui prit part à son tour à la conversation.

En un tour de cadranOù les histoires vivent. Découvrez maintenant